mercredi 23 mai 2012

Sur la Route

Réalisé par Walter Salles – Avec Sam Riley, Garrett Hedlund, Kristen Stewart, Kirsten Dunst, Tom Sturridge, Viggo Mortensen – Brésil/ France – 2h20

Serpent de mer du cinéma Hollywoodien, l’adaptation par Walter Salles du roman de Jack Kerouac, pardon du « romancultedunegénération » de Jack Kerouac « Sur la route » décevra forcément les fans du livre.
Il faut bien parler de « fans », car le roman fondateur de la Beat Generation fait l’objet d’un culte qui lui vaut un deuxième lieu commun « inadaptable », comme tous les romans sauf ceux de Pagnol si l’on a bien compris.
Son passage à l’écran est vécu comme un sacrilège, surtout par un cinéaste aussi classique que Walter Salles.
Sauf que la vraie question n’est pas de savoir si le roman est inadaptable mais s’il y avait un intérêt à l’adapter ?

On est très loin du ratage intégral que prédisaient (espéraient ?) les gardiens du temple. Il est même indéniable que Salles, en en faisant un road movie assez conventionnel, sans chercher à retranscrire ce que ce livre avait de révolutionnaire à sa sortie, rend un joli service à Kerouac.
Le film reste gentiment anecdotique et n’édifiera pas les foules adolescentes comme le fit le roman. C’est même une assez belle preuve de maturité.
Soyons clairs : le livre vieillit très mal. Quiconque relit « Sur la route » est frappé par le contraste entre une écriture qui bouscule encore le lecteur et une histoire niaise enfilant les clichés sur la jeunesse qui « brûle, brûle, brûle ».
Et pour cause : le livre a inventé les thèmes, mille fois répétés et devenus d’insupportables lieux communs.
C’est là que se situait le grand risque d’une adaptation.
Le style demeure qui sauvera l’œuvre, mais il ne fallait pas compter sur le réalisateur efficace mais bien sage de « Carnets de voyages » ou « Central do Brasil » pour trouver un langage cinématographique aussi novateur que fut, en son temps, le style de Kerouac.
En réduisant le film au road-movie, Salles reste donc dans un territoire qu’il connaît bien, une photo travaillée caméra en mouvement, un montage rythmé mais qui rend palpables les kilomètres parcourus et le désenchantement au bout de la route.
Ce manque d’ambition stylistique est une hérésie et dresse la limite du film, mais Walter Salles nous épargne le discours écolo-bobo qui faisait d’un film comme « Into the Wild » un abject salmigondis de clichés pour adolescents.
Sans complaisance pour l’œuvre sacrée, le film de Salles remet en perspective la misogynie du roman : Kirsten Dunst et Kristen Stewart donnant à leur personnage une dimension, certes relative, mais qui n’existait pas dans le roman de Kerouac pour qui les femmes étaient juste des jouets ou des emmerdeuses.
Bien sûr l'audace et la recherche et de façon générale tout ce qui rendaient excitant la lecture sont totalement absents du film, même la rencontre avec Burroughs, fondatrice du mythe, est ici purement anecdotique, tout juste sauvée par Viggo Mortensen sous-employé.
Réalisateur efficace mais sans imagination, le salut de Walter Salles réside dans ses acteurs.
Comme pour Gabriel Garcia Bernal interprétant le Che, la direction d’acteur consiste à ne pas incarner un mythe mais un personnage ordinaire qui n’a pas conscience de ce qu’il deviendra aux yeux du monde.
Sam Riley : en Sal paradise, le double de fiction de l’auteur, reste sobre, loin du cliché de l’écrivain torturé s’efface derrière le véritable héros : Dean Moriarty (Gareth Hedlund, une révélation ), figure d’une jeunesse qui au lendemain de la guerre voulait élargir ses horizons, une jeunesse qui a vu dans le voyage un accomplissement mais trouvé le désenchantement au bout de la route.
Plus que le récit d’une époque révolue, « Sur la route » trouve son chemin en restant fidèle à son époque, La deuxième décennie du XXIeme siècle. 60 ans après le livre, la réussite relative du film réside dans sa façon de tirer un trait sur les rêves d’hier et de chercher dans l’acte fondateur de la beat-generation les prémisses de la désillusion.


Jeremy Sibony

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