mercredi 16 mai 2012

Moonrise Kingdom

Réalisé par Wes Anderson – Avec Kara Hayward, Jared Gilman, Bruce Willis, Edward Norton, Frances Mc Dormand, Bill Murray, Bob Balaban, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Jason Shwartzman – Etats Unis – 1h35

Avec Sofia Coppola, Spike Jonze ou Roman Coppola, Wes Anderson est un des symboles de cette jeune et brillante génération de cinéastes américains cultivant leur décalage avec autant de talents que de snobisme.
Ils n’ont pas à réaliser de pubs, ils sont des pubs, leur déférence affichée envers la nouvelle vague française leur sert de sésame auprès d’un public plus branché que cinéphile.
Leur réputation est plus (Wes) ou moins (Roman) méritée, ils sont soignées par nos journalistes comme tout bon américain qui fait acte de contrition d’être américain et qui dépeint les travers de leur société (américaine) pour le plaisir de la notre (française).
Heureusement, si Sofia Coppola est sûrement la cinéaste la plus surestimée depuis Godard, les films de Wes Anderson le sauve du syndrome tête à claque que menace tout réalisateur déifié par les cahiers du cinéma.
« Moonrise Kingdom » confirme le talent du réalisateur américain, reprenant la recette qui le révéla avec « Rushmore » et le consacra avec son chef d’œuvre : « La vie Aquatique ».
Suspecté de tourner en rond après « The Darjeeling Ilimited » et « Fantastic Mr Fox », Anderson ne se contente plus de filmer des adultes qui agissent comme des gamins et raconte l’histoire de gamins qui voudraient agir comme des adultes.
Le souci étant qu’ils le font comme des adultes Andersoniens, c’est à dire passablement dépressifs et en décalage avec le monde en apparence ordonné qui les entoure.
Pour s’occuper d’eux : des adultes qui eux agissent comme des enfants et ont du mal à assumer leur responsabilité. Jolie idée au centre du film : tandis que les enfants cherchent à se défaire de leurs habits d’enfants, les adultes sont presque tous vêtus comme des enfants déguisés : Le costume de policier d’un flic immature (Bruce Willis qui prépare joliment sa retraite de star du box office), l’uniforme de scout d’un chef scout dépassé (Edward Norton décidément parfait quel que soit le rôle ) ou les tenues diverses et variées d’un avocat au bord de la crise de nerf (Bill Murray étonnant)…
Rien de neuf sous le ciel de Wes Anderson ?
On pourrait le croire et ce n’est d’ailleurs pas déplaisant : humour pince sans rire, situation décalée, mise en scène précise et faussement sur un rythme faussement monocorde : nous sommes en territoire connue, ce qui ne poserait aucun problème si, comme pour ces derniers films, on n’avait pas l’impression de se faire légèrement avoir.
L’originalité c’est la créativité explique le jeune héros : est-ce que copier coller des scènes entières d’un univers original c’est encore de la créativité ?
C’est au moment où l’on se pose la question que le film se réveille enfin : de l’escalade habituelle des heurts et malheurs que le cinéaste aime infliger à ses personnages, ressort une mélancolie, une gravité, qui faisait la beauté de « La vie Aquatique » et qui manquait au « Darjeeling illimited » le monde moderne est habité d’individus puérils et malheureux : personne ne s’y sent à sa place… L’amour des deux gamins est incongrue parce que trop profond, celui des adultes sans issue car pas assez solide.
En opposant la figure habituelle de l’adulte enfantin à celle d’enfants singeant la gravité du monde des adultes, tout le monde est malheureux, personne n’est à sa place.
Dans ce morne monde, la fantaisie du metteur en scène est l’unique bouffée d’oxygène : elle est d’autant plus efficace qu’elle offre au spectateur l’unique branche à laquelle se raccrocher.
Il est dommage que Wes Anderson reste toujours trop sur sa réserve. La marque de la génération « Koople » : conscient de leur propre virtuosité, à l’image d’une Sofia Coppola qui filme un balai dans le derrière, planquée derrière les poses d’un cinéma graphique et référencé : surtout ne pas se mouiller, ce que font heureusement les personnages du film, littéralement. La fin du film flirtant, de très loin, avec des effusions « Hollywoodiennes », la grande terreur de cette génération de cinéastes pour qui l’émotion est une faute de goût.
L’échec, injuste de « La vie Aquatique » dans lequel Wes Anderson se lâchait d’avantage, menaçait de scléroser son œuvre pour un bon bout de temps.
Même si c’est fait timidement, même si chaque plan nous rappelle que « tout est sous contrôle », jusqu’à frôler l’anesthésie, nous retrouvons dans « Moonrise Kingdom » une audace qui ne serait plus seulement formelle.
Evidemment, il prend le risque de se fâcher avec une critique qui elle ne fait plus que prendre la pose…

Jeremy Sibony

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