mercredi 24 octobre 2012

Amour

Réalisé par Michael Haneke – Avec Emmanuelle Riva, Jean-Louis Trintignant, Isabelle Huppert – France – 2h07

Dans un bus, un couple de vieux que l’on remarque à peine, rentrant d’un concert… Scène de la vie conjugale d’une triste banalité. En fait le dernier moment d’un bonheur qui s’ignore. La banalité avant le désastre, avant que deux vies basculent après l’attaque cérébrale de la vieille dame qui aura lieu le lendemain. Son issue, nous la connaissons dès la première scène : la police forçant un appartement, le corps d’une vieille dame morte sur son lit… Seule…

Disons-le simplement : oui ‘Amour’ est avant tout un film… d’amour. Ce qui n’allait pas de soi quand on connaît l’œuvre de Michael Haneke, son regard d’entomologiste sur un monde de cruauté, sa noirceur. Mais il fallait peut-être la distance qu’il sait mettre entre lui et son sujet pour éviter que son propos soit parasité par le sentimentalisme ou le misérabilisme. « Amour » est ainsi d’une grande sensibilité sans jamais sombrer dans la sensiblerie, il est aussi d’une impitoyable dureté.
Il fallait aussi le talent de deux acteurs qui imposent l’évidence de leur couple et de leur amour avant de s’enfoncer dans un véritable cauchemar. Ce sont eux et le regard que leur porte le réalisateur qui font d’ « Amour » un film un peu différent du reste de sa filmographie.
 Emmanuelle Riva, splendide de dignité dans la maladie et Jean-Louis Trintignant, acteur époustouflant dont chaque mot, intonation, geste est emprunt d’une palette de nuances qui nous bouleverse.
 Ce sont souvent des gros plans sur leur visage, notamment du regard à la fois doux et douloureux de Trintignant, que naît une émotion qui ne lâche pas le spectateur, chaque scène devenant une étape supplémentaire dans la déchéance en même temps qu’une preuve de la force des sentiments qui subsistent malgré tout.
Comme rarement, la réussite du film née de l’osmose entre le regard de l’acteur et celui du cinéast.
 C’est un véritable numéro d’équilibriste, la crudité de certaines scènes est acceptable car la réalisation reste d’une grande pudeur quand à l’expression des sentiments. Le réalisme est contaminé de séquences oniriques.
 L’expression d’un cinéaste au sommet de son art qui épure encore son style pour que chaque scène frappe immédiatement le spectateur.
Mouvement de caméra, dialogue, décor : il n’y a rien en trop, rien qui n’ait sa place et sa force.
La minutie Balzacienne avec  le cinéaste a reconstitué cet appartement bourgeois, dit beaucoup de l’histoire de ce couple et  marque le contraste entre le passé et un quotidien devenu insupportable.
 Le récit se construit aussi autour de la parfaite maîtrise des plans séquences où Haneke sait ne rien nous épargner tout en préservant la dignité de ses deux personnages et d’ellipses audacieuses. Imperceptiblement, nous nous sentons étouffer avec eux, alors que le mari décide de se couper du monde, de sa fille notamment. Comme un soldat en permission se sent exclu de ceux qui continuent à vivre sans savoir ce que c’est que de vivre au front.
La menace vient de l’extérieur, de la logique qui voudrait que lui renonce à la promesse qu’il lui à faite: « ne pas la renvoyer à l’hôpital. » Leur condition de bourgeois leur permet de pouvoir tenir leur promesse, mais ce pacte ultime entre un homme et une femme les condamne à en payer le prix : assister l’implacable (et pas simplement assister à) délitement du corps humain qu’enregistrent les plans fixes du film.

« Rien de tout cela ne mérite d’être montré » répliquait l’homme à sa fille venue aux nouvelles. En contredisant immédiatement cette réplique par les séquences suivantes, Haneke nous fait définitivement franchir le seuil d’une intimité. Le véritable amour, c’est ainsi essuyer la pisse de la femme que l’on aime, l’aider à se rhabiller dans les toilettes.
L’amour c’est enfin le refus d’assister à la lente et insupportable agonie de l’autre. C’est là qu’éclate encore l’intelligence d’un réalisateur qui refuse de basculer dans le film à thèse : juste le récit d’un amour qui va jusqu’au bout de sa logique.

 « Amour » s’ouvrait sur sa fin : le cadavre d’une vieille femme étendue sur son lit ; où était l’homme ? A cette question du début Haneke répond par un mystère qui laissera le spectateur face à ses interrogations. Une fois encore, Haneke ne donne pas de réponses, il n’impose rien. Nous voilà ainsi seuls devant le magistral passage de la réalité la plus crue à un univers onirique. Pourquoi ne pas y voir l’idée un étrange et angoissant happy end ? L’art comme refuge dérisoire et éphémère face à l’horrible banalité.

Jeremy Sibony

vendredi 5 octobre 2012

Reality

Réalisé par Matteo Garrone – Avec Aniello Arena, Loredana Simioli, Nando Paone, Nello Iorio, Raffaele Ferrante, Giuseppina Cervizzi – Italie – 1H55

Cinecitta, envahi par la téléréalité. Un casting géant organisé pour « Il grande fratello », version italienne de Big Brother, des files de candidats, un studio improvisé sur les pelouses de ce qui fut pour beaucoup le nombril du cinéma. Derrière, presque caché par la machine télévisuelle : un vestige, l’immense tête d’une statue du Casanova de Fellini : ruine de Rome.

 Gomorra, le précédent film de Matteo Garrone  s’inscrivait déjà, aù-delà du polar,  dans une tradition du cinéma réaliste italien, ce « Reality » sera plus qu’une énième critique de la télé réalité.
 Le lien avec la comédie italienne est là, paradoxal pour un film où l’on assiste à la chute d’un homme ordinaire. Mais, depuis la fin des années 70, on sait que la comédie italienne fait rire jaune ou même ne fait plus rire du tout. Garrone semble reprendre là où le « Affreux sale et Méchant » d’Ettore Scola avait laissé la comédie italienne, au crépuscule de son âge d’or, quand, rattrapée par la fin du « miracle italien », elle se faisait plus désespérée que jamais. « Reality » s’ouvre sur la peinture volontairement outrancière d’un personnage singulier, presque une figure Fellinienne.

Luciano est un Napolitain exubérant et charismatique. Poissonnier, arrondissant ses fins de mois difficiles grâce à de petites magouilles dont profitent aussi les plus pauvres de son quartier. Cela aurait pu être Alberto Sordi ou Nino Manfredi, interprétant un brave homme vivant pour sa famille, un peu bravache, un peu escroc, mais que tout le monde apprécie. Pour faire plaisir à sa famille et flatter son ego de cabotin, il tente un casting pour entrer dans le loft local : une de ces émissions de télé réalité absurde où l’on observe des gens vivre comme dans un zoo. Les nouvelles idoles sont là : les vainqueurs de ces jeux télévisés, qui vivent une brève mais intense heure de gloire. Instrumentalisés par la production mais adulés par le public, Luciano veut en être. Pour l’argent, pour ce qui ressemble à de la gloire, pour l’ego. Pour sortir d’un quotidien anonyme où il faut gagner de plus en plus difficilement sa vie quand d’autres règlent leurs problèmes financiers en une émission télé.
 Matteo Garrone filme Luciano et sa famille avec le même respect et la même tendresse qu’un Ettore Scola. Pas une famille ideale, pas une vie parfaite, mais des gens essayant de s’en sortir comme ils le peuvent. Comme pour Gomorra il filme des êtres victimes d’un système qui les dépasse. Mais si l’on devine la mécanique infernale qui transforme des hommes en bêtes de foire, La grande intelligence du film est de maintenir presque hors champ la télé réalité pour se consacrer aux « candidats » à ce cirque. L’obsession de Luciano n’est pas directement le fait des producteurs de l’émission. L’espoir qui le dévore n’est pas due à une promesse non tenue : Luciano se fait son film tout seul, le terrain a été préparé par une société tout entière : la télévision et le star système, mais aussi le regard des proches qui changent quand se profile juste la possibilité de passer à la télé. Etre de l’autre coté de l’écran, c’est changer de caste, changer de vie. Ne pas être sélectionné, c’est échouer aux yeux du monde.
 A l’opposé d’un Ginger Fred où Fellini nous faisait vivre la naissance de cette télé poubelle de l’intérieur, le cinéaste reste du côté du public. Et voici l’éternel miracle du cinéma italien qui sait caricaturer les gens pour mieux approcher leur vérité.
En expliquant les raisons de son palmarès controversé au festival de Cannes, le président du Jury Nanni Moretti expliquait l’absence de quelques  favoris de la critique par le manque d’intérêt que portait certains metteur en scène à leur personnage. Le grand prix du jury qu’il décerna à « Reality » se justifie ainsi totalement.
Ainsi "Reality" vaut autant pour ce qu'il montre de l'état d'alienation d'une société que pour ce qu'il ne montre pas. Matteo Garrone nous épargne les passages obligés des films sur la télé-réalité: les plans sur les coulisses où les producteurs se frottent les mains, les travellings sur les moniteurs à l'interieur d'une régie où un réalisateur ordonne un gros plan sur une larme. Tout cela appartient à la télé, le cinéaste reste sur ses terres: refuse le spectaculaire au profit de ses personnages.
On aurait pu trouver agaçants les clichés de la famille napolitaine dépeinte par Garrone, mais en restant de leur côté, jusqu’au bout, le film évacue toute moquerie facile, le cinéaste ne se place jamais au-dessus de ses personnages, il ne les juge pas. La mise en scène de « Reality » restitue leur dignité aux êtres que la télé réalité jette en pâture à leurs semblables pour qu’ils s’en moquent. La caricature, l’exubérance se met au service du respect et de la dignité. Les « masques » expriment la vérité des êtres. Quand la volonté de Luciano d’entrer dans ce loft tourne à l’obsession, le cinéaste n’en rit pas, la comédie s’efface au profit d’une petite tragédie ordinaire. Aniello Arena, stupéfiant Luciano, qui charmait le spectateur par son naturel le fait petit à petit entrer dans sa folie, dans son cauchemar : son sourire se fige, il perd pied…
D’abord filmé au beau milieu de sa famille, souvent submergé par les enfants, cousins, parents, Luciano se sépare d’eux, cadré seul, isolé. La mise en scène de Garrone bascule naturellement, en un panoramique qui refuse de se finir quand la famille regarde la première d’Il Grande Fratello, et que le mouvement de caméra se poursuit, le suspens est entier: nous espérons le contre champs qui nous soulagerait, montrant notre héros dans la télé, mais il se poursuit, impitoyablement, nous laissant découvrir Luciano, isolé lui aussi devant la télé : simple spectateur.
 Cet effet de mise en scène relativement discret fait basculer le film… Luciano sombre définitivement dans la paranoïa, croit être suivi par des « espions » envoyés par la télé et attend le coup de fil de la production qui le « libérerait » en entrant dans le loft.
La « comédie » Italienne avait déjà été aussi sombre, aussi noire, mais rarement emprunte d’une aussi profonde tristesse.

Lorsque, au terme d’une dernière séquence nocturne surréaliste où il semble devenir invisible, nous le perdrons aussi de vue, Luciano ne sera plus qu’une silhouette, une ombre. Le lent travelling qui clôt le film nous laisse le temps de mesurer sa chute. Le temps est un luxe que le cinéma peut encore se permettre, de la même façon que, dans un monde où une image chasse l’autre, le rire de Luciano hantera longtemps le spectateur. Le cinéma, aura réussi à nous rapprocher d’une de ses silhouettes désincarnés que nous apercevons à peine devant nos télé. Matteo Garrone s’inscrit ainsi dans la continuité des grands cinéastes italiens et non, Cinecitta n’est pas encore tombé.

Jérémy Sibony

mercredi 3 octobre 2012

Después de Lucia

Réalisé par Michel Franco – Avec Tessa Ia, Hernàn Mendoza, Gonzalo Vega Sisto, Tamara Yazbek Bernal, Francisco Rueda, Paloma Cervantes – 1h 43 – Mexique.


Le premier plan intrigue : l’homme qui vient de récupérer sa voiture dans un garage roule quelques instants, s’arrête et abandonne sa voiture. « Después de Lucia » Débute comme un film sur le deuil : un père et sa fille, seuls depuis la mort de Lucia. Les plans séquences et le rythme des premières séquences se justifient totalement, nul snobisme : le deuil se fait dans le vide que laisse la femme et mère. Les plans se construisent autour de cette absence. Mais si le père se morfond dans le silence et la solitude, la fille, Anjelica, est décidée à vivre, cache son deuil et essaye de vivre la vie normale d’une jeune fille de son âge. C’est d’elle que vient la lumière du film, d’une actrice surtout, la jeune Tessa Ia qui fait ici d’impressionnants débuts. Le film semble prendre des rails assez classiques : le père et la fille prenant chacun une route différente : lui peinant à garder son nouveau travail alors qu’elle s’intègre bien dans son nouveau lycée. Dans un film classique, nous attendrions que les routes se rejoignent ou se séparent définitivement… Nous ne sommes pas dans un film classique.

Avec le même effet de surprise que lorsque son héros quittait brusquement sa voiture, le récit prend un autre chemin, bien moins confortable. Le réalisateur, Michel Franco, s’est bien gardé de montrer dans cette première partie les signes du désastre à venir, cela rendra les séquences qui suivront autrement plus réalistes. Car la tragédie qui se dessine soudainement ne vient pas du deuil, mais du retour à une vie normale. La monstruosité se niche dans le quotidien, dans la normalité. Pour s’être laissée filmer pendant qu’elle faisait l’amour avec le bellâtre de la bande, Anjelica devient la cible impuissante de ses « amis », la bande de jeunes devient une meute, la gentille jeune fille qui illuminait la première partie du film et semblait être la seule lueur dans la dépression du père va s’éteindre petit à petit. Le deuil est évacué, mais au profit du récit presque insoutenable des tortures mentales et physiques que va subir la jeune fille de la part de ses « amies ». La cruauté de la meute est sans fin.
Aux humiliations succèdent les sévices, tandis que le lien qui subsistait entre Anjelica et son père se rompt sans que ce dernier s’en aperçoive. La mise en scène de Michel Franco ne nous épargne rien : la caméra enferme sa jeune actrice dans un cadre presque fixe, aucune échappatoire, aucun plan pour rendre cette violence esthétique. Aucune complaisance non plus : nous ne sommes ni chez Larry Clark, ni chez Oliver Stone.
Nulle provocation facile dans cette mise en scène de l’insoutenable.
Les adultes ? Ils sont morts ou absents (absents de l’écran ou lorsqu'ils sont présents à l’écran, totalement inertes.) La logique de bande est une logique de meute. Le cinéaste sait qu’on trouverait facilement plus de bêtise que de haine dans les premières brimades. Mais la frontière est vite franchie, sans autre repère que celui du groupe, la bêtise laisse place à la monstruosité , disons le à une certaine forme de fascisme. « Después de Lucia » est aussi une vision du totalitarisme sans que  le film cède à la démonstration.

La caméra reste à bonne distance, tandis que les séquences de tortures physiques et mentales se succèdent jusqu’à l’écoeurement. Plus d’une fois on peut penser que le cinéaste va trop loin, que la mécanique cache mal une noirceur affectée. Nous pouvons aussi nous sentir manipulés par ce récit glaçant.
On espère une explication à cette violence gratuite, quelque chose qui expliquerait qu’une bande d’ados se mue en monstres.
 Mais rien…
Alors que la sécheresse de la mise en scène, sa précision rend le propos parfaitement plausible. La résignation de la jeune fille subissant humiliations et tortures nous renvoie à notre propre impuissance et le spectateur de gauche lecteur de Télérama, de libé ou du Monde sent monter en lui un désir de vengeance relativement malsain.
La civilisation ? Quelle civilisation ?
 Celle du téléphone portable, qui loin d’aider à communiquer scelle l’incommunicabilité des êtres avant de devenir l’instrument par quoi le drame arrive. Ce n’est pas bien sûr la technologie qui est en cause, mais les hommes qui se planquent derrière.
Car voici l’Emile de Rousseau revisité : l’homme, livré à lui-même, abandonné par les siens, retourne à l’état sauvage. Il dévore les plus faibles.
Anjelica s’efface sous nos yeux jusqu’à ne devenir qu’une ellipse, un blanc, alors que le chapitre final du film se clôturera dans un acte à la fois immoral et vengeur qui nous laisse face à notre propre désir de vengeance.

Nous serons horrifiés mais aussi un peu soulagés : une victime expiatoire, c’est ce que nous nous surprenions peut-être à demander. Il est même possible que notre réaction nous effraie nous-même. Cette conclusion ambiguë ouvre un gouffre… Pas de réponses, pas de morale… Rien.
 Rien d’autre qu’un homme et l’acte qu’il vient de commettre…: pas de messages, pas de psychologies faciles.. Et nous face à lui. Cet autre moi-même. Ce que Bruno Dumont nommait « L’humanité. »

Jeremy Sibony

mercredi 26 septembre 2012

Vous n'avez encore rien vu

Réalisé par Alain Resnais (real de la captation : Bruno Podalydes) – Avec Sabine Azema, Anne Consigny, Denis Podalydes, Pierre Arditi, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot, Andrzej Seweryn, Lambert Wilson, Annie Duperey, Michel Piccoli, Jean-Noël Brouté, Michel Vuillermoz, Michel Robin – 1h55 – France


« Vous n’avez encore rien vu »?
Pour ceux qui suivent de près comme de loin le travail d’Alain Resnais, il semble que si l’on a rien vu, tout était déjà dit.
On peut d’abord s’amuser de l’ouverture rappelant « 6 personnages en quête d’auteur » de Pirandello, avant de se rendre compte que ce que l’on pensait être de la malice se trouvera vite être un gadget, censé confondre les spectateurs mais qui flirte dangereusement avec l’auto citation, pire pour ceux qui ont toujours aimé chez ce cinéaste l’inventivité et l’audace, une certaine paresse.
Les plus prestigieux comédiens (souvent également les plus prestigieux cadres de la LCL) sont ainsi invités à faire passer les indigestes tartines du Eurydice et du plus méconnu « Cher Antoine » d’Anouilh qui se trouve au cœur du film.
 On peut penser que faire jouer au théâtre ce soir du Jean Anouilh, n’est pas le comble de la modernité ni de l’audace, mais comme on aime Resnais, on attend d’être surpris… Raté.

 Un metteur en scène mort, ses comédiens sont convoqués dans sa luxueuse maison pour prendre connaissance du testament artistique du défunt : Ils devront regarder la captation d’une énième version des pièces d’Anouilh par une jeune compagnie théâtrale, alors même que chacun des prestigieux invités furent les acteurs de cette pièce au cours des nombreuses adaptations. Rapidement les comédiens assistant au film font écho à l’interprétation de la jeune compagnie…
On se doute que ce ne sont pas les deux pièces qui justifiaient ce film pour Alain Resnais, mais surtout le fait de mêler ce qu’Anouilh peut faire raisonner en lui : les fantômes convoquant les vivants, le passé envahissant la vie. Comme Resnais fut un « moderne », à côté (plutôt qu’au côté) des réalisateurs de La Nouvelle Vague, Anouilh fut avec Gide ou Giraudoux au théâtre et évidemment avec les écrivains du nouveau roman avec qui il collabora. Hélas, plus aucune modernité, dans ce « Vous n’avez encore rien vu. » C’est même une torture que de voir de si brillants acteurs (Pierre Arditi, Anne Consigny, Sabine Azema, Hippolyte Girardot…) afficher des airs compassés et rendre encore plus pesants les dialogues sur la vie, l’amour, la mort etc etc…
Le processus visant à faire répéter les mêmes bribes du texte, à la file, aux différents acteurs, fait penser à la captation d’un long cours de théâtre. Pire : la mise en parallèle avec certains comédiens aussi justes et inventifs que Mathieu Amalric ou Hippolyte Girardot est cruelle pour les jeunes comédiens de la compagnie de la colombe. Demander à Bruno Podalydes de filmer cette jeune troupe ressemble à une fausse bonne idée. Même s’il ne s’agit pas de juger leur interprétation ou la mise en scène, c’est tout simplement hors sujet, le film dans le film coupe le rythme et rend l’œuvre interminable.
La mise en abyme devient un procédé grossier, destiné à masquer la lourdeur du propos. On devine les comédiens face à leur passé, face à l’absence du metteur en scène. On croit voir le futur fantôme du réalisateur se retourner sur son travail, son rapport aux comédiens. On entend même un « vrai » fantôme : la voix d’André Dussolier, habitué d’Alain Resnais, absent de la distribution. Une esthétique tape à l'oeil qui tente le passage en force, c'est tout ce que l'on ressent devant les effets de mise en scène dans un décor entièrement numérisé.
Resnais voulait s’affranchir du diktat de la vraisemblance, utiliser les possibilités du numérique pour jouer sur le réalisme. Idée louable : l’aspect artificiel du numérique aurait pu contribuer à inventer ce monde, entre réalité et fantasme. Une fois de plus, à chaque plan apparaît le manque de finesse, la volonté d’en mettre plein la vue et de rendre le moindre robinet de lavabo d’une infinie poésie. Les modifications des décors numérisés, les fautes de raccords volontaires, les petits clins d’œil (une affiche d’un film de Resnais par exemple), la disparition et la réapparition d’éléments : tout ceci devient si voyant qu’il parasite l’ensemble. A Chaque plan nous sommes censés nous exclamer sur La « liberté » de l’artiste qui n’est qu’une béquille sur laquelle s’appuie un réalisateur qui semble ne pas savoir comment aborder son véritable sujet : son dialogue avec des fantômes. L’inventivité formelle laisse place ici à l’instauration d’une fausse complicité entre spectateur et réalisateur : il peut tout se permettre, nous applaudirons à chaque fois.
Désolé, mais malgré tous nos efforts, malgré l’admiration que nous gardons pour ce grand metteur en scène et pour ces comédiens: nous sommes juste devant une pièce de théâtre, rien de plus qu’un texte que nous aurions espéré moins sentencieux et transcendé par la mise en scène. « Vous n’avez encore rien vu » ploie sous une poésie factice qui devient une machinerie prévisible et au mécanisme trop voyant.

 Alain Resnais ressemble à son Antoine, il se moque de nous juste pour savoir si nous l’aimons toujours, jusqu’où sommes-nous prêts à le suivre aveuglément.
Certains peuvent vouloir entrer « dans la forêt » avec lui, mais nous pouvons plus sûrement rester à l’orée, laisser l’artiste manipulateur s’enfoncer tout seul.
Il est réconfortant d’imaginer que la fin du film laisse penser que Resnais ne souhaitait pas qu’on s’y enfonce avec lui et qu’il puisse comprendre que l’on apprécie pas sa mauvaise blague.
 La seule bonne nouvelle, c’est qu’effectivement nous n’avons rien vu et que le beau film d’un fantôme convoquant les fantômes de son passé reste à faire pour Alain Resnais.

Jeremy Sibony

mercredi 30 mai 2012

Prometheus

Réalisé par Ridley Scott – Avec Noomi Rapace, Michael Fassbender, Charlize Theron, Idris Elba, Guy Pearce, Logan Marshall-Green – Etats-Unis – 2h03

Après la suite, après le prequel, voilà le faux prequel…
A une époque où les grosses productions consistent souvent à adapter paresseusement des BD, des séries télés puis à les décliner en d’interminables suites et « prequel », il faut au moins reconnaître à Ridley Scott une certaine audace.
Il eût été si simple de donner au public ce qu’il attendait : un prologue au premier Alien qui lui permettrait de réutiliser les vieilles recettes éprouvées.
Prometheus a une véritable ambition, celle de créer une nouvelle légende du cinéma de science fiction, digne du réalisateur d’Alien et de Blade Runner qui contribua à faire du cinéma de genre un cinéma d’auteur à part entière.

Prometheus n’assume son statut de prologue, qu’à la toute fin du film, pour l’essentiel, il s’agit d’élucider un mystère : l’identité du « space Jockey », ce géant que l’équipage du premier Alien retrouvait fossilisé et éventré.
Question essentielle pour Ridley Scott mais annexe pour le spectateur…
Le résultat final est assez décevant, on peut douter que l’aventure Prometheus accède également au rang de mythe de la science fiction.
Au-delà d’une réussite visuelle indéniable, le film est assez banal. Une équipe d’humains sur une planète hostile, une énigme qui se transforme en angoisse et le jeu de massacre qui commence.
C’est du vu et revu et pas seulement chez Scott lui-même.
L’audace dont le réalisateur a su faire preuve pour accoucher d’un projet inédit et non d’une énième déclinaison d’une franchise lui manque quand il faut donner à cette œuvre un soupçon d’originalité.
Dans ses meilleures séquences, le film est l’esquisse de ce qu’il aurait dû être : l’humanoïde veillant seul pendant des années sur le sommeil des humains, sa passion pour Lawrence d’Arabie de David Lean, la vision des extraterrestres « créateurs » devenus des dieux destructeurs sans compassion ni intérêt pour l’humanité.
Un zeste de pessimisme dans un genre devenant de plus en plus consensuel, une belle idée.
C’est la grande idée mal exploitée du film : les humains veulent comprendre, approcher l’éternité. Les extra terrestres sont d’insensibles dieux sanguinaires : l’anti-avatar.
Hélas, si Scott est moins niais que Cameron, il est aussi plus sage.
A l’exception des personnages interprétés par Noomi Rapace et Michael Fassbender, les autres ont bien du mal à exister. Charlize Théron a l’air de se demander ce qu’elle fait là.
L’intérêt réside vite dans les petits détails qui rappellent Alien : lumière sombre, les radars « pac man » où les êtres vivants sont signifiés par des points sur un écran (là encore une bonne idée peu exploitée, le curseur qui ne bouge pas, à l’inverse de celui mouvant du premier Alien).
Noomi Rapace devenant une Sigourney Weaver avant l’heure, on attend juste que le prequel s’assume comme tel, un comble !
Du film en lui-même on s’est vite désintéressé.
Forcément, il y a une maîtrise formelle assez impressionnante, la marque de Ridley Scott.
Mais le scénario si faible, si convenu ronge le film de l’intérieur…
A vouloir brasser trop de choses : la création de l’homme, les origines d’un mythe, un suspens sanglant, Scott semble esquisser son film.
Comme s’il avait oublié que c’est la simplicité du récit qui avait fait la force du premier Alien.
Comme s’il avait oublié les règles du cinéma de genre, tellement obnubilé par l’idée de réaliser un grand film.
Le résultat final ne rivalise pas avec Alien et certainement pas avec Solaris de Tarkovski.
Et de cette nouvelle saga qui s’annonce, ne subsiste pour le moment que les prémisses du chef d’œuvre de 1979.

Ironiquement Prometheus raconte bien l’histoire cruelle d’un créateur victime de sa création…

Jeremy Sibony

Les femmes du bus 678

Réalisé par Mohamed Diab – avec Nahed el-Sebai, Boushra , Nelly Karim, Omar el-Saeed, Basem el-Samra, Maged El Kedwany – Egypte- 1h40


« Un grand sujet ne fait pas un grand film », d’accord, mais ça ne nuit pas non plus et, dans le cas des « Femmes du bus 678 » ça peut contribuer à en faire un bon film, voir un film nécessaire, à projeter dans nos écoles.

Il faut d’abord se réjouir qu’un tel film ait pu voir le jour, surtout réalisé par un homme, ce qui est une bonne nouvelle pour la condition de la femme en Égypte (et pas seulement) peu importe pourrait-on même ajouter si cinématographiquement le film n’est pas tout à fait abouti, le principal est que cette histoire soit racontée.
L’histoire, c’est celle de trois femmes subissant le harcèlement ou même les violences sexuelles des hommes et du silence dans lequel on les mure.
Rappelons qu’en Égypte, il aura fallu attendre 2008 pour que soit condamné le premier coupable d’agression sexuelle.
Comme dans toutes les sociétés de frustrés planqués derrière la religion et les coutumes, la femme doit se taire, nier sa féminité et demander pardon de soumettre les hommes à la tentation.
Les trois héroïnes du film, appartenant à trois milieux socialement différents, subissent l’une les attouchements des hommes dans un bus, l’autre une agression sexuelle en pleine rue, la troisième enfin un quasi-viole collectif à la sortie d’un match.
Dans les trois cas, les femmes sont condamnées au silence et à la honte.
Chacune va essayer de se révolter : l’une s’opposant à sa famille pour porter plainte, l’autre, donner des cours d’autodéfense, la dernière enfin, la plus désespérée car victime de la loi des hommes et de celle de la religion, se vengera en poignardant les males libidineux à coup d’épingles là où ça fait vraiment très mal.
Elle devient l’héroïne anonyme de millions de femmes victimes de violences ou harcélement sexuels.
Dans ce monde ubuesque où on ne porte pas plainte après une agression contre une femme, la police est priée de trouver la criminelle qui fait planer une menace sur une société d’obsédés.
Dommage que le film semble conçu pour un dossier de l’écran local. Mohamed Diab ne filme pas des personnages mais des stéréotypes, une bourgeoise, une jeune, une femme vivant dans la tradition, cela lui permettant de donner l’aspect le plus général possible à sa démonstration.
Certaines situations semblent mêmes totalement artificielles, tout particulièrement l’enquête policière et le personnage même du commissaire : d’abord insensible puis découvrant à ses dépends la réalité de la condition féminine.

Les autres personnages masculins, tous plus veules et lâches les uns que les autres ne sont guère plus fouillés. Triste panel d’une société phallocrate et moyenâgeuse.
Si la dénonciation est salutaire, si on se sent tour à tour impuissant, en colère et solidaire de ses femmes, il aurait fallu plus de finesses pour répondre à des questions que le réalisateur/scénariste ne fait que poser, notamment pour savoir comment une société dans laquelle les femmes pouvaient se promener habiller comme elle l’entendait, au moins dans les grandes villes, a-t-elle pu se muer en une société de frustrés qui asservissent les femmes au nom d’un code d’honneur imbécile et de pratique d’un autre temps.
La force du propos réussit à transcender un récit qui louche maladroitement du coté des scénarii de Guillermo Arriagas et des films de Gonzalez Inarritu. Dans les mains incertaines du cinéaste égyptien, le système tourne court, on a peine à croire à la rencontre de ces trois femmes…
Il aurait aussi fallu autre chose qu’une mise en scène purement illustrative pour faire un grand film avec un grand sujet, ce qui aurait eu pour vertu première de donner plus d’impact encore au message du film.
Pourtant, on reste suspendu au récit, « Les femmes du bus 678 » faisant ainsi la jolie démonstration que le cinéma peut s’incliner devant une cause quand celle-ci est filmée avec sincérité à défaut d’audace formelle.
Espérons que ce film trouvera un écho dans son pays d’origine évidemment, mais aussi partout ailleurs et notamment en France.
Une fois de plus, la projection des « Femmes du bus 678 » dans les lycées et collèges serait salutaire.
Une société qui laisse les femmes percevoir un salaire moindre que les hommes pour un poste similaire ne peut pas s’estimer suffisamment civilisée pour regarder la société égyptienne de trop haut.
Enfin, le printemps arabe ayant accouché en Égypte d’un renforcement des partis intégristes, on peut douter que les femmes soient sorties d’affaire : le courageux film de Mohammed Diab est plus que jamais d’actualité.
Le cinéma ne change rien à la vie, on le sait bien, mais il est au moins un motif d’espoir quand d’authentiques chefs d’œuvres paraissent à coté d’une totale vacuité.

Jeremy Sibony

vendredi 25 mai 2012

Cosmopolis

Réalisé par David Cronenberg – Avec Robert Pattinson, Paul Giamatti, Sarah Gadon, Kevin Durand, Samantha Morton, Juliette Binoche, Matthieu Amalric – Canada- 1h50

«Un spectre hante le monde. Le spectre du capitalisme ».
Marx détourné, Dieu mort, le monde est dirigé par des spectres comme Eric Packer : jeune multimilliardaire, héraut de la spéculation, héros du roman de Don de Lillo « Cosmopolis » adapté par David Cronenberg.
Disons plutôt que le cinéaste canadien s’est réapproprié le livre pour accoucher d’un monstre, à la fois somme des thèmes habituels du cinéma de Cronenberg mais aussi vision apocalyptique d’un monde qui s’effondre, sans qu’on puisse dire si c’est une si mauvaise nouvelle…

Eric Packer veut une coupe de cheveux, il n’en a visiblement pas besoin et traverser New York en ébullition est une mauvaise idée, mais il veut sa coupe de cheveux …
Commence alors un quasi huis-clos dans sa gigantesque limousine.
Huis-clos ? C’est pourtant tout un univers que filme David Cronenberg. Le monde d’Eric Packer se réduit à l’intérieur de cette immense voiture aux vitres fumées et totalement insonorisée, mais à l’intérieure le sort de millions de gens se discute de façon honteusement abstraite. Toute la vie de Packer se retrouve en une unité de temps et une unité de lieu : amour, sexe, visite médicale.
Sourd et aveugle au monde qu’il contribue à détruire, le spectre vit littéralement dans sa bulle, convoquant ceux dont il a besoin qui l’attendent aux coins des rues, pendant que son empire sombre et que le chaos règne à l’extérieur.
Ce pari insensé de raconter la chute d’un homme dans sa voiture, Cronenberg le relève avec une inventivité d’autant plus admirable qu’il ne tourne pas à l’exercice de style.
Changement de focales, de cadre, multipliant les points de vues sans se répéter et surtout sans que le tour de force technique ne nous déconnecte du drame qui se joue. Puisque la limousine est un monde, alors la mise en scène ne doit pas enfermer ce monde en quelques plans.
L’autre pari insensé et relevé de l’adaptation du roman, c’est d’avoir libéré la parole au point d’en faire un personnage du film. La parole, ou plutôt son déferlement, son débit (dans le sens du débit d’un fleuve), devient une excroissance organique.
Le contraste avec l’absence presque totale de son extérieur crée un univers inquiétant : comme si les vitres n’étaient qu’un téléviseur diffusant les images d’un monde virtuel, alors même que nous sommes dans le véritable univers virtuel.
Comme les héros d’ « Existenz », les héros évoluent dans un monde parallèle sans en avoir conscience. La parole est leur seul lien à l’autre, seule échange : on parle de fric, de devises, de marchand d’art, de théories sur l’argent et le gain, alors que chaque propos semble contredire ou au moins éclairer sous un angle nouveau par ce que nous percevons du monde extérieur.
Le scénario a tenu à conserver les dialogues prémonitoires de Don de Lillo : jusqu’à ce que se dégage un monde chaotique, sonore comme visuel : du hors champs et de ce que nous parvenons à distinguer des vitres, nous devinons et apercevons des hommes en rage, une foule au bord de l’insurrection. Protégé du monde, à peine secoué par les manifestants, Packer parle, écoute : les dialogues rongent le film…
Mais la parole ne résout rien, elle fait partie de ce monde virtuel dans lequel évolue Packer.
La masse, elle, évolue dans un monde de plus en plus matérialiste.
La marque des puissants est de vivre dans le virtuel : leur système financier, leur univers tout entier, même un simple mariage : tout est virtuel...
Mais on sait que chez Cronenberg, on paye dans la réalité la confusion avec le virtuel.
Les premières victimes sont les gens ordinaires.
Mais, sans que le réalisateur n’ait le mauvais goût d’en faire une victime, Eric Packer lui-même ne supporte plus cette existence morne, cloîtré dans la prison en cuir, à la recherche de sensation.
Il a besoin d’une coupe de cheveux… Cet étrange caprice qui constitue au début une preuve de son aliénation devient la dernière bribe, inconsciente d’humanité.
La coupe de cheveux, mais pas n’importe où, dans un endroit où il fut libre autrefois.

Tout se passe comme si ce fantôme qui traverse New York sourd au désastre qui l’entoure voulait revenir chez les vivants, chez les mortels.
Incapable de ressentir quoi que ce soit d’autre qu’une fouille rectale, insensible à sa ruine, à la douleur des autres, sans affect ni humour.
Comment s’étonner alors que Cronenberg ait choisi Robert Pattinson, le héros de Twilight, pour jouer un personnage plus proche de Nosferatu que le vampire de la franchise pour ado.
Pattinson est parfait : golden boy désincarné, à la fois symbole d’un capitalisme triomphal et roi nu.
Le film oscille ainsi entre le silence du royaume de Packer et le fracas du monde réel où il fait de rares incursions.
Elles donnent une respiration au film et à l’exception d’une séquence ratée dans une chambre d’hôtel redondante et inutile, les scènes ne rompent pas le rythme du film, elles sont autant d’étapes soulignant l’isolement et la chute du héros.
Lorsque enfin la ballade cesse, le silence de la voiture semble avoir gagné le monde extérieur, ne reste plus à Eric Packer qu’à se confronter à sa Némésis.
La scène fera débat : un affrontement verbal avec un perdant, un paumé victime du golden boy, plus de 20 minutes de dialogue. Le point culminant d’un film incroyablement bavard et pourtant physique. Car la confrontation est surtout physique : celle de Paul Pattinson contre celle de Paul Giamatti
Trop long ?
Trop long la rencontre de deux mondes qui se sont côtoyés pendant toute la durée du film et qui pour la première fois échangent ?
Trop long un face à face qui est devenu impossible hors d’une fiction ?
Le roman de Don de Lillo est prophétique, le film de Cronenberg est presque utopique : le monde s’écroule sans que les responsables ne sortent jamais de leur univers aseptisé.
Cosmopolis se clôt sur un suspens qui n’existe pas dans le livre. David Cronenberg ne cherche pas à finir sur une note d’espoir après un tel déferlement nihiliste : il nous laisse face à notre choix, à notre idée de ce que serait une fin morale dans un monde immoral.
La parole n’a aucun sens, les dialogues sont abscons, l’image ne fournit pas de réponse non plus : il n’y a que le chaos et ce qu’il en ressortira.
Au moins un grand film. C’est déjà ça.

Jérémy Sibony

mercredi 23 mai 2012

Men In Black III

Réalisé par Barry Sonnenfeld - Avec Will Smith, Josh Brolin, Tommy Lee Jones, Emma Thompson, Jemaine Clement, Michael Stuhlbarg – Etats Unis – 1h43

Men in black fut la belle surprise de l’été 1996. Barry Sonnenfeld trouvait l’équilibre parfait entre dérision et science fiction. Le duo Tommy Lee Jones/ Will Smith donnait un coup de jeune aux numéros du clown blanc et de l’auguste, des effets spéciaux impressionnants nous permettaient de découvrir une galerie d’extra terrestre aussi originaux qu’amusants.
Aucune des deux suites n’aura donc été à la hauteur et on aura bien du mal à parler de trilogie vu l’écart entre l’original et les deux séquelles.

Men in Black 3 n’est pas aussi raté que le deuxième opus, film bâclé, que personne ne voulait faire et qui débouchait sur une véritable arnaque.
Cette fois le scénario justifierait presque l’entreprise : un affreux E.T décide de remonter dans le temps, d’éliminer l’agent K (Tommy Lee Jones) avant qu’il l’élimine. L’Agent J (Will Smith) part donc en 1969 pour sauver la mise de son futur partenaire.
La première partie du film est assez réussie : l’évasion d’un terrible monstre ou la visite dans un restaurant chinois à la carte pleine de surprise, le film semble retrouver le rythme du premier chapitre.
La bonne surprise c’est la présence d’Emma Thompson, grande dame du cinéma, dans un joli moment de dérision dont raffolent les acteurs shakespeariens.
Hélas, passées les scènes d’exposition, il faut passer aux choses sérieuses : le voyage dans le temps, c’est là que les choses se gâtent, surtout pour le spectateur.
Si l’on excepte un gag récurrent : Will Smith débarquant à une époque où les noirs sont suspects…surtout en costume, le film sombre dans l’ennui puis dans la niaiserie absolue.
Will Smith fait son numéro en vain, un personnage d’extra terrestre sympathique englue le scénario dans de la guimauve, une inutile poursuite en moto futuriste symbolise le manque d’inventivité de la mise en scène.
Barry Sonnenfeld que l’on appréciait pour son mauvais esprit hérité de son travail de directeur de la photo auprès des frères Coen semble expédier les affaires courantes.
Si Men In Black n’a jamais été un film subversif, il y régnait une atmosphère gentiment iconoclaste totalement absente de Men In Black II et III.
La présence d’Ethan Coen au générique du film, crédité comme scénariste, reste un mystère. Le scénario est bancal, on a rarement vu le thème du voyage dans le temps si mal exploité, pour ne pas dire expédié en quelques séquences sans grand intérêt.
Les petites trouvailles visuelles qui faisaient la richesse du premier sont resservies sans conviction (l’écran aux « extra terrestre sous surveillance ») et n’apportent strictement rien de neuf qui rendrait ce troisième épisode singulier.
Quand à la scène finale, le climax de toutes superproductions qui se respectent tourne au téléfilm : filmé mollement, sans idées.
Le film finit dans un magma de bons sentiments, une « révélation » dont on se serait bien passé.
Pas grand chose à sauver donc, si ce n’est le jeu de Josh Brolin : interprétant l’agent K jeune, Brolin se livre à une réjouissante et parfaite imitation de Tommy Lee Jones, retrouvant le débit de l’acteur Texan et se réappropriant son jeu laconique.
Le « ok » du jeune agent K acceptant de croire, sans rien y trouver à redire, le récit improbable de Will Smith racontant le but de son voyage dans le temps, suffirait presque à justifier cette suite.
Presque…

Sur la Route

Réalisé par Walter Salles – Avec Sam Riley, Garrett Hedlund, Kristen Stewart, Kirsten Dunst, Tom Sturridge, Viggo Mortensen – Brésil/ France – 2h20

Serpent de mer du cinéma Hollywoodien, l’adaptation par Walter Salles du roman de Jack Kerouac, pardon du « romancultedunegénération » de Jack Kerouac « Sur la route » décevra forcément les fans du livre.
Il faut bien parler de « fans », car le roman fondateur de la Beat Generation fait l’objet d’un culte qui lui vaut un deuxième lieu commun « inadaptable », comme tous les romans sauf ceux de Pagnol si l’on a bien compris.
Son passage à l’écran est vécu comme un sacrilège, surtout par un cinéaste aussi classique que Walter Salles.
Sauf que la vraie question n’est pas de savoir si le roman est inadaptable mais s’il y avait un intérêt à l’adapter ?

On est très loin du ratage intégral que prédisaient (espéraient ?) les gardiens du temple. Il est même indéniable que Salles, en en faisant un road movie assez conventionnel, sans chercher à retranscrire ce que ce livre avait de révolutionnaire à sa sortie, rend un joli service à Kerouac.
Le film reste gentiment anecdotique et n’édifiera pas les foules adolescentes comme le fit le roman. C’est même une assez belle preuve de maturité.
Soyons clairs : le livre vieillit très mal. Quiconque relit « Sur la route » est frappé par le contraste entre une écriture qui bouscule encore le lecteur et une histoire niaise enfilant les clichés sur la jeunesse qui « brûle, brûle, brûle ».
Et pour cause : le livre a inventé les thèmes, mille fois répétés et devenus d’insupportables lieux communs.
C’est là que se situait le grand risque d’une adaptation.
Le style demeure qui sauvera l’œuvre, mais il ne fallait pas compter sur le réalisateur efficace mais bien sage de « Carnets de voyages » ou « Central do Brasil » pour trouver un langage cinématographique aussi novateur que fut, en son temps, le style de Kerouac.
En réduisant le film au road-movie, Salles reste donc dans un territoire qu’il connaît bien, une photo travaillée caméra en mouvement, un montage rythmé mais qui rend palpables les kilomètres parcourus et le désenchantement au bout de la route.
Ce manque d’ambition stylistique est une hérésie et dresse la limite du film, mais Walter Salles nous épargne le discours écolo-bobo qui faisait d’un film comme « Into the Wild » un abject salmigondis de clichés pour adolescents.
Sans complaisance pour l’œuvre sacrée, le film de Salles remet en perspective la misogynie du roman : Kirsten Dunst et Kristen Stewart donnant à leur personnage une dimension, certes relative, mais qui n’existait pas dans le roman de Kerouac pour qui les femmes étaient juste des jouets ou des emmerdeuses.
Bien sûr l'audace et la recherche et de façon générale tout ce qui rendaient excitant la lecture sont totalement absents du film, même la rencontre avec Burroughs, fondatrice du mythe, est ici purement anecdotique, tout juste sauvée par Viggo Mortensen sous-employé.
Réalisateur efficace mais sans imagination, le salut de Walter Salles réside dans ses acteurs.
Comme pour Gabriel Garcia Bernal interprétant le Che, la direction d’acteur consiste à ne pas incarner un mythe mais un personnage ordinaire qui n’a pas conscience de ce qu’il deviendra aux yeux du monde.
Sam Riley : en Sal paradise, le double de fiction de l’auteur, reste sobre, loin du cliché de l’écrivain torturé s’efface derrière le véritable héros : Dean Moriarty (Gareth Hedlund, une révélation ), figure d’une jeunesse qui au lendemain de la guerre voulait élargir ses horizons, une jeunesse qui a vu dans le voyage un accomplissement mais trouvé le désenchantement au bout de la route.
Plus que le récit d’une époque révolue, « Sur la route » trouve son chemin en restant fidèle à son époque, La deuxième décennie du XXIeme siècle. 60 ans après le livre, la réussite relative du film réside dans sa façon de tirer un trait sur les rêves d’hier et de chercher dans l’acte fondateur de la beat-generation les prémisses de la désillusion.


Jeremy Sibony

mercredi 16 mai 2012

De rouille et d'os

Réalisé par Jacques Audiard – Avec Marion Cotillard, Matthias Shoenaerts, Bouli Lanners, Corinne Masiero, Céline Salette – France – 1h55

Après deux incursions magistrales dans le polar ("De Battre mon coeur s'est arrêté", "Un Prophète"), Jacques audiard revient à une histoire en apparence plus classique, assez proche en tout cas de "Sur mes lèvres", le dernier (et unique) film décevant du réalisateur. "De rouille et d'os" démontre superbement à quel niveau se situe désormais l'oeuvre d'Audiard. "Sur mes lèvres" n'arrivait jamais à totalement s'affranchir d'un scénario moyen, cette nouvelle incursion dans le mélodrame le plus piégeux achève elle brillamment la mue du scénariste au metteur en scène.

On ressort une fois de plus estomaqué par la puissance de la mise en scène, presque épuisé par la tension et la densité qui parcourt chaque séquence. Si dans l’esprit étroit d’un critique de libé la créativité est un défaut, dans celui du spectateur lambda comme des cinéphiles ressentir physiquement un film est une expérience rare.

L’idée de départ faisait pourtant craindre le pire : l’adaptation d’un roman de Craig Davidson, l’histoire d’une jeune femme amputée des deux jambes et d’un boxeur bas du front : Intouchables version mélo…
Sauf que contrairement au blockbuster Français, un vrai cinéaste s’est emparé du sujet. La réalisation et le jeu des deux héros : Matthias Schoenaerts déjà remarquable dans "Bullhead" et Marion Cotillard d’une très belle sobriété, tout participe à faire du film un « anti mélo».
On se demande même si la platitude du sujet n’était pas la motivation première de Jacques Audiard.
Parfois, on a même l’impression que le réalisateur traîne son sujet comme un boulet, comme si ce qui l’intéressait était justement la façon de s’en libérer et le film frôle alors l’exercice de style. Mais funambule, il reste sur son fil, par le jeu des comédiens et le regard que porte sur eux Jacques Audiard prend soin de ne pas les étouffer et crée entre personnages et spectateurs un rapport presque sensuel.
Il faut le souligner, loin d’un technicien, le cinéaste est un sensuel.
Ce qui magnifie une histoire facile et un scénario parfois faiblard.
On peut aussi regretter que l’arrière plan « social » soit mis soudainement en avant de façon si fabriqué, cette partie du film, qui voit le personnage interprété par Bouli Lanners un peu sacrifié, est soit bâclée soit en trop.
L’accident scénaristique est ici évité par la présence de Corinne Masiero (la bouleversante héroïne de « Louise Wimmer »), mais se conclue par un procédé scénaristique un peu tiré par les cheveux.
N’ayant pas lu le roman, difficile de savoir si cette faiblesse du scénario vient de l’adaptation ou du livre, toujours est-il que le film s’essouffle sur la fin, avant qu’une fois de plus, la mise en scène finisse par avoir le dernier mot…

Nous pouvons toujours essayer de jouer au plus malin, mais à ce degré de maîtrise, le spectateur n’a presque plus le temps de s’attarder sur les faiblesses de l’écriture. Le cadre, le montage, la musique et surtout le son : nous sommes littéralement immergés dans le film de Jacques Audiard : les boxeurs sont magnifiques, les orques sont magnifiques, la lumière qui baigne cette horrible cote d’azur est magnifique, tout fait sens ou plutôt tout fait appel à tout nos sens : le film se trouve là, dans l’état d’extrème attention dans lequel nous sommes maintenus : l’histoire d’amour mélodramatique ou le dur combat d’une handicapée pour vivre comme tout le monde, tous ces thèmes sont évités, balayés…
C’est la forme qui crée le fond, pas un scénario un brin paresseux. Le cinéaste possède le don de trouver le cœur de la scène, sans aller chercher la petite larme du spectateur par des séquences faciles et attendues, l’émotion arrive comme à l’improviste, un son, un gros plan suffit à faire basculer le film.

« De rouille et d’os » avance au rythme d’Ali et Stéphanie, ses deux héros, la brutalité et la sobriété. Brutalité quand Jacques Audiard film frontalement le handicap, une amputée faisant l’amour ou les combats hyper violents de marginaux qui n’ont que ces combats de gladiateurs modernes pour gagner leur argent. Mais ce sont surtout les plans les plus inattendues qui sont la marque du grand cinéaste : un enfant caché dans une niche, le visage d’un boxeur vaincu, Stéphanie répétant les gestes de son métier d’avant…
Ce sont les séquences les plus sobres qui, conjugués à la violence d’autres images, fondent un lyrisme propre au cinéma d’Audiard. Un cinéma qui semble découvrir ses personnages en même temps que le spectateur.
L’histoire d’amour est au second plan et n’intéresse le réalisateur que parce qu’elle révèle des personnages.
Tout comme « Un prophète » n’était pas un film sur le milieu carcéral ou « Un héros très discret » sur la guerre, « De rouille et d’Os » n’est pas une histoire d’amour : juste l’histoire de deux rédemptions dont rien ne nous dit d’ailleurs qu’elles soient achevées.

Incontestablement, le cinéaste fait étalage de son talent, ça peut déplaire à certains. Effectivement on ne doute pas un seul instant que faire étalage de son manque de talent soit la preuve d’une prise de risque dont certains critiques déplorent l’absence dans « De Rouille et d’os ». Il y a d’ailleurs une liste presque sans fin de réalisateurs dont la prise de risque se termine dans le platane.
A-t-on l’impression de s’être fait berné à la sortie du film de Jacques Audiard ? Oui, dans une certaine mesure et avec bonheur.
"De rouille et d'os" rappelle cette évidence qu'un certain cinéma français semble avoir oublié: peu importe au fond l'histoire d'un film, l'interêt c'est surtout qui la raconte.

Jeremy Sibony

Moonrise Kingdom

Réalisé par Wes Anderson – Avec Kara Hayward, Jared Gilman, Bruce Willis, Edward Norton, Frances Mc Dormand, Bill Murray, Bob Balaban, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Jason Shwartzman – Etats Unis – 1h35

Avec Sofia Coppola, Spike Jonze ou Roman Coppola, Wes Anderson est un des symboles de cette jeune et brillante génération de cinéastes américains cultivant leur décalage avec autant de talents que de snobisme.
Ils n’ont pas à réaliser de pubs, ils sont des pubs, leur déférence affichée envers la nouvelle vague française leur sert de sésame auprès d’un public plus branché que cinéphile.
Leur réputation est plus (Wes) ou moins (Roman) méritée, ils sont soignées par nos journalistes comme tout bon américain qui fait acte de contrition d’être américain et qui dépeint les travers de leur société (américaine) pour le plaisir de la notre (française).
Heureusement, si Sofia Coppola est sûrement la cinéaste la plus surestimée depuis Godard, les films de Wes Anderson le sauve du syndrome tête à claque que menace tout réalisateur déifié par les cahiers du cinéma.
« Moonrise Kingdom » confirme le talent du réalisateur américain, reprenant la recette qui le révéla avec « Rushmore » et le consacra avec son chef d’œuvre : « La vie Aquatique ».
Suspecté de tourner en rond après « The Darjeeling Ilimited » et « Fantastic Mr Fox », Anderson ne se contente plus de filmer des adultes qui agissent comme des gamins et raconte l’histoire de gamins qui voudraient agir comme des adultes.
Le souci étant qu’ils le font comme des adultes Andersoniens, c’est à dire passablement dépressifs et en décalage avec le monde en apparence ordonné qui les entoure.
Pour s’occuper d’eux : des adultes qui eux agissent comme des enfants et ont du mal à assumer leur responsabilité. Jolie idée au centre du film : tandis que les enfants cherchent à se défaire de leurs habits d’enfants, les adultes sont presque tous vêtus comme des enfants déguisés : Le costume de policier d’un flic immature (Bruce Willis qui prépare joliment sa retraite de star du box office), l’uniforme de scout d’un chef scout dépassé (Edward Norton décidément parfait quel que soit le rôle ) ou les tenues diverses et variées d’un avocat au bord de la crise de nerf (Bill Murray étonnant)…
Rien de neuf sous le ciel de Wes Anderson ?
On pourrait le croire et ce n’est d’ailleurs pas déplaisant : humour pince sans rire, situation décalée, mise en scène précise et faussement sur un rythme faussement monocorde : nous sommes en territoire connue, ce qui ne poserait aucun problème si, comme pour ces derniers films, on n’avait pas l’impression de se faire légèrement avoir.
L’originalité c’est la créativité explique le jeune héros : est-ce que copier coller des scènes entières d’un univers original c’est encore de la créativité ?
C’est au moment où l’on se pose la question que le film se réveille enfin : de l’escalade habituelle des heurts et malheurs que le cinéaste aime infliger à ses personnages, ressort une mélancolie, une gravité, qui faisait la beauté de « La vie Aquatique » et qui manquait au « Darjeeling illimited » le monde moderne est habité d’individus puérils et malheureux : personne ne s’y sent à sa place… L’amour des deux gamins est incongrue parce que trop profond, celui des adultes sans issue car pas assez solide.
En opposant la figure habituelle de l’adulte enfantin à celle d’enfants singeant la gravité du monde des adultes, tout le monde est malheureux, personne n’est à sa place.
Dans ce morne monde, la fantaisie du metteur en scène est l’unique bouffée d’oxygène : elle est d’autant plus efficace qu’elle offre au spectateur l’unique branche à laquelle se raccrocher.
Il est dommage que Wes Anderson reste toujours trop sur sa réserve. La marque de la génération « Koople » : conscient de leur propre virtuosité, à l’image d’une Sofia Coppola qui filme un balai dans le derrière, planquée derrière les poses d’un cinéma graphique et référencé : surtout ne pas se mouiller, ce que font heureusement les personnages du film, littéralement. La fin du film flirtant, de très loin, avec des effusions « Hollywoodiennes », la grande terreur de cette génération de cinéastes pour qui l’émotion est une faute de goût.
L’échec, injuste de « La vie Aquatique » dans lequel Wes Anderson se lâchait d’avantage, menaçait de scléroser son œuvre pour un bon bout de temps.
Même si c’est fait timidement, même si chaque plan nous rappelle que « tout est sous contrôle », jusqu’à frôler l’anesthésie, nous retrouvons dans « Moonrise Kingdom » une audace qui ne serait plus seulement formelle.
Evidemment, il prend le risque de se fâcher avec une critique qui elle ne fait plus que prendre la pose…

Jeremy Sibony

mercredi 9 mai 2012

Dark Shadows

Réalisé par Tim Burton – Avec Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Eva Green, Helena Bonham Carter, Bella Heatcote, Chloë Moretz – Etats Unis –1h53

Paradoxe : alors que Tim Burton fait l’unanimité auprès du public (« Alice au pays des merveilles » est son plus grand succès), comme du petit monde de la cinéphilie qui lui a fait l’honneur d’une rétrospective à la cinémathèque, on commence à s’inquiéter pour lui.

De quand date le dernier grand film de Burton : Sleepy Hollow ? Mars Attack ?
Depuis quelques années, alors qu’il possède une parfaite maîtrise de son art, ses films ressemblent à des œuvres de fans, ses propres fans.
L’univers riche et iconoclaste du réalisateur d’"Edward aux Mains d’argent" est devenu prévisible et mécanique.
Burton fait du Burton, avec efficacité mais sans audace.
Pas question de reprocher à un auteur de tracer son sillon, mais il se dégage de Dark Shadows un parfum de « déjà vu et en mieux » : on admire la direction artistique, le style baroco-gothique et le jeu de Johnny de Depp, mais il manque non pas le charme de la nouveauté, mais un contexte, un propos propre à ce film qui ferait la singularité de ce film.

Dark Shadows est pourtant l’adaptation d’une série télé des années 80, pas un scénario propre à Burton.
C’est bien le problème : Burton, s’empare d’un univers préexistant, ici les aventures de Barnabas, noble de Nouvelle-Angleterre devenu vampire par la jalousie d’une femme et se retrouvant dans les années 70 après des années d’emprisonnement dans sa tombe. Quand il ressurgit, il découvre sa descendance ruinée et s’efforcera de redonner à sa famille son lustre d’antan. Cette série inoffensive de seconde zone, le réalisateur d’Ed Wood l’adapte à sa sauce, la détourne pour en faire un produit Burtonien.
Comme pour Alice ou Sweeney Todd, Burton ne met plus en scène : il customise.
La série américaine ayant de lointains rapports avec l’œuvre du réalisateur (un monstre perdu dans une Amérique conventionnelle) est tunée comme une voiture…

Alors, oui, on mégote un peu : Dark Shadows est au-dessus des standards moyens des salles de cinéma : Johnny Depp fait du Johnny Depp, mais il le fait avec son talent : drôle ou inquiétant, si possible en même temps. La séquence d’ouverture et le générique de début donne le là d’un film bien mené par un excellent cinéaste.
Il n’y a aussi que Tim Burton pour nous rendre les humains ordinaires plus abjects et dangereux qu’un vampire sanguinaire…
Et le vampire héros, pour aussi sympathique qu’il soit, reste un assassin qui tue des innocents pour se nourrir.
Mais assez rapidement, le film n’a plus rien à nous montrer, il ronronne. Michelle Pfeiffer ou une surprenante Eva Green donne pourtant joliment la réplique à Depp, mais sans jamais vraiment ennuyer, le film nous échappe.
Autant se regarder un DVD d’un de ses films.

Burton radote, la surenchère d’effets visuels ne masque plus l’absence de propos : le film est une très belle coquille vide et malgré d’indéniable qualité Dark Shadows sera vite oublié.
Je sais bien le snobisme qu’il y a à regretter que l’on ait juste passé un bon moment, mais du réalisateur de « Batman Le défi » on attendait autre chose que ce bel objet froid.
Nous en venons à espérer un prochain film sans Johnny Depp, sans monstres se heurtant à une société conformiste, sans fausse misanthropie.
Tim Burton ressemble de plus en plus au gothique du lycée.
On en oublierait presque que « La planète des singes » est son seul film raté, n’importe qui rêverait d’avoir dans sa filmo les derniers films du cinéaste.
Tim Burton n’est pas n’importe qui.


Jeremy Sibony

mercredi 25 avril 2012

Avengers

Réalisé par Joss Whedon – Avec Robert Downey Jr , Mark Ruffalo, Scarlett Johansson, Chris Hemsworth, Jeremy Renner, Tom Hiddleston, Samuel Jackson, Chris Evans – Etats Unis – 2h22


Pour résumer le projet Avengers, il s’agissait de réaliser plusieurs navets mettant en scène séparément des super héros de BD pour pouvoir réaliser un super navet les réunissant.
La bonne surprise, c’est que les faiblesses des différents films précédents (Iron Man, Hulk, Thor, Captain America) ne s’additionnent pas, « Avengers » étant sûrement le meilleur du lot.
La mauvaise nouvelle, c’est que tout ça ne fait pas un bon film.

« Avengers » ne réussit jamais à résoudre l’équation posée par les autres films : ne pas trop se prendre au sérieux pour éviter le ridicule tout en ne jouant pas trop la carte du second degré pour éviter la parodie.
Le projet reste dans cet entre-deux, boitant bas et se reposant au final sur des scènes spectaculaires et des effets spéciaux réussis.
Le scénario ne poursuit qu’une seule idée : donner à chacun de ses héros un moment de gloire et ne sacrifier personne.
C’est la bonne idée de la BD : les super héros qui cohabitent n’évoluent pas tous dans la même division (un dieu viking immortel côtoie un mec bon au tir à l’arc) mais évidemment chacun aura son importance, parce que l’esprit de groupe, c’est encore ce qui se fait de mieux pour sauver le monde mon petit monsieur.
Si l’équipe de France pouvait comprendre le si puissant et subtil message des Avengers avant de disputer l’euro…

Chaque héros a le droit à son moment de gloire, les temps de paroles étant bien respectés. Tout est parfaitement réglé, pas une minute qui n’est ait été longuement marketé : quel héros, pour quelle tranche d’âge ? Comment peut on faire croire qu’un mec dont le super pouvoir est un bouclier tienne deux secondes face à un dieu viking : pas de problèmes, c’est pensé, étudié, on sent que l’idée première est avant tout que chaque héros vendent à peu près le même nombre de produits dérivés.
Ils ont même été jusqu’à chercher quelques ficelles pour éviter le navet : une petite dose de second degré, pas trop, mais suffisamment pour que personne ne quitte la salle en courant.

Scarlett Johansson en tueuse professionnelle : vamp en tenue de cuir moulant, Hulk en bermuda moulant, le charisme de Robert Downey Jr et l’idéalisme suranné du capitaine América : quelques bonnes idées, mal exploitées par un réalisateur pour qui un dialogue est uniquement destiné à faire le lien entre deux séquences d’explosions en séries, d’invasion d’extra terrestres, bref de déluges d’effets spéciaux, qui, s’ils n’ont rien de révolutionnaires sont bien foutues justifient toute l’entreprise pour les moins exigeants.

On peut trouver formidable que plus il y a d’argent sur la table, moins on est exigeant avec le résultat final…

On est surtout vite saoulé, notamment par un combat final trop long et sans surprise. Quelques incohérences trahissant une des bonnes idées de départ: le « vengeur » le plus puissant est également le plus incontrôlable : Hulk héros malgré lui, totalement inconscient qu’il sauve le monde. Le personnage le plus intéressant devient un héros animé des meilleurs intentions, fade.
Evidemment, je pinaille, mais je ne fais que reprendre ce que racontait le geek fan de super héros devant moi et il n’a pas manqué de le souligner à sa copine à la sortie du film (qui avait l’air de s’en foutre à peu près autant que le réalisateur).

Sans véritable histoire, « Avengers » ressemble à un devoir de vacances pas trop difficile et un peu bâclé. C’est techniquement au point, mais le film sera vite oublié, même si un numéro 2 viendra forcément. Il respectera tout autant le cahier des charges et sera tout aussi creux…

Et là vous vous posez la question que tout le monde se pose : comment le type qui s’intéressait à la psychologie d’un gros monstre vert a-t-il pu avoir une copine ?
Je n’en sais rien, mais s’il a continué trop longtemps a faire le décompte à sa copine de toutes les incohérences d’un film sur des super héros, la question ne se pose probablement plus à l’heure qu’il est…


Jeremy Sibony

mercredi 11 avril 2012

Radiostars

Réalisé par Romain Levy avec Clovis Cornillac, Manu Payet, Douglas Attal, Pascal Demolon, Benjamin Lavernhe, Zita Hanrot, Côme Levin, Sam Karmann – France- 1h40

Présenté comme la nouvelle comédie française, déjantée et irrévérencieuse « Radiostars » surprend par sa platitude et son sentimentalisme.
Le modèle serait les comédies américaines de Ben Stiller ou Will Ferrel, hormis le quart d’heure de bon sentiment qui adoucit leur humour potache et leur mauvais esprit, on ne retrouve rien de ce qui fait le succès des sales gosses d’Hollywood.
Il est même étonnant que de l’univers de la radio et de la lutte pour s’attirer le fructueux marché des jeunes les scénaristes n’aient retenu que des histoires de coucheries sur fond d’amitiés masculines.
Bon, j’avoue, déjà, je ne suis pas fan des animateurs de radio pour jeunes qui gueulent des vannes pas drôles en riant de leur propre blague.
Le côté « je fais claquer le sous tif de la présentatrice météo », à 7 heures du matin, je n'y arrive pas.
A 15h30 non plus d’ailleurs ?
Mais à 7h00 définitivement pas.
Le problème c’est que Radiostars n’est pas un film « sur des animateurs de radio pour jeunes », mais un film d’animateurs de radio pour jeunes.
Le film, incolore, indolore fait l’impasse sur tout ce que pourrait être intéressant ou corrosif sur un sujet pareil.
Le jeunisme instrumentalisé par des quadragénaires cyniques, la cible commerciale qu’est l’ado aux yeux des publicitaires, la vacuité d’émissions où l’on crie plus qu’on ne parle, l’humour potache, la recherche de la futilité dans un monde si dur….
Rien, même pas une ligne de coke pour tenir le rythme et la pression, même pas un joint… Rien, radiostar reste tout à fait inoffensif et le plus consensuel possible.
Et ça vous étonnera peut-être, mais ce qui est déjà insupportable à la radio ne l’est pas moins au cinéma.
Autre souci : le jeune héros du film, interprété par un Douglas Attal visiblement sous Prozac est censé être un humoriste.
Il aurait peut-être fallu que l’humoriste soit drôle pour que cela fonctionne.
D’une façon plus générale, le côté : « 100% vannes et tchatche » ne peut pas fonctionner avec des blagues pas drôles et des vannes tournant autour du « ouais ben toi-même » et « t’as vu tes chaussures ».
Bref, Radiostars ressemble à une émission de radio lourdingue, le film souffrant d’une mise en scène plate, sans idées ni véritable point de vue (eh non, accumuler plans de bus avec de la musique rock en fond, ce n’est pas une mise en scène).

Le talent de Manu Payet donne au film son seul intérêt. De petites apparitions en seconds rôles, Manu Payet fait son chemin. D’abord cantonné dans des comédies pas drôles, il est évident que le cinéma français lui fera vite une place plus en rapport avec un potentiel que l’on devine important.
Quant à Clovis Cornillac, il fait le chemin inverse : un excellent comédien qui semble décidé à jouer dans des films de plus en plus anodins.
Syndrome Nicolas Anelka (période pré -Chelsea, ça laisse de l’espoir pour Clovis).


Jeremy Sibony

Twixt

Réalisé par Francis Ford Coppola – Avec Val Kilmer, Bruce Dern, Elle Fanning, Ben Chaplin, Joanne Whalley, Alden Ehrenreich – Etats Unis – 1h29

A quand remonte le dernier grand film de Coppola ?
« Dracula » son conte baroque ? « Tucker » ce beau film sur le rêve américain injustement méprisé par le public et la critique ? Plus loin encore si l’on se souvient de ce que "grand film de Coppola" signifiait dans les années 70 (Le Parrain, Conversation Secrète ou Apocalypse Now.)
Twixt, son dernier drôle de film, n’est pas un grand Coppola. On n’est même pas sûr que cela soit un bon Coppola. Pire, si « Tetro » pouvait laisser entrevoir un futur retour au premier plan du réalisateur du Parrain, « Twixt » semble plutôt marquer un retour en arrière.
Mais bizarrement, on n’a pas envie de jeter le bébé avec l’eau rouge sang du bain. Il y a dans ce film assez d’éléments excitant la curiosité du cinéphile moyen pour que l’on se dise qu’une série Z de Coppola, c’est un peu plus qu’une série Z.
C’est à la limite de l’injustice et du traitement de faveur, mais de même que l’on cherchait rétrospectivement dans Dementia 13 (1963) les signes annonçant les chefs d’œuvres à venir, on regarde dans Twixt ce qui rappelle le Coppola d’avant.
Evidemment, le souci c’est que l’on retrouve surtout ses premiers films, produits par Roger Corman.
Twixt est une production à petit budget, entre thriller et gore et qui flirte délicieusement avec le cliché. Le début intrigue : un auteur raté essayant de fourguer lui-même ses romans horrifiques dans de sinistres petites villes américaines.
Le vieux shérif du coin est le seul à s’y intéresser, lui proposant de co-écrire un roman à partir d’un crime sanglant ayant eu lieu dans la ville.
C’est quand l’auteur (Val Kilmer, visiblement élevé au KFC), rêve d’Edgar Allan Poe que cela se complique et que le film vire au kitsch. Jeune fille assassinée pour sorcellerie, assassin rédempteur, bikers zombies et souvenir d’une enfant morte…
Tout cela se retrouvant dans le désordre le plus total dans les rêves du héros.
La mise en scène se veut à la hauteur du salmigondis gore qui sert de scénario : les rêves sont filmés dans un noir et blanc de clip des années 80, dans lequel coule généreusement un sang rouge ketchup.
Ce grand n’importe quoi orchestré par un réalisateur génial donne un résultat étrange, entre le giallo italien, le gore italien et les séquences rappelant le Coppola de Rusty James…
Convoquer Edgar Allan Poe, c’est peut-être aussi convoquer Roger Corman, grand admirateur de Poe et surtout adaptateur de ses nouvelles au cinéma.
Comme si également, il cherchait son avenir de cinéaste dans son passé. Invoquant le maître de la littérature fantastique (Coppola a une assez bonne opinion de lui pour voir en Poe un alter ego), il retrouve aussi celui qui a lancé sa carrière, à partir de production fauchée où il a appris son métier comme il semble maintenant apprendre à maîtriser les nouvelles technologies numériques, jusqu’à en abuser.
L’objet est informe, à la limite, parfois franchie, du ridicule et pourtant fascinant.
C’est au cœur de ce « machin » pas désagréable tellement tout y est outré que se niche une séquence surprenante, une scène qui semble justifier l’entreprise à elle seule. Même dérangeante pour qui connaît l’histoire personnelle du cinéaste.
La fille du héros meurt d’un accident de ski nautique…Exactement comme mourut le fils de Coppola.
L’irruption de ce drame dans un film réalisé avec ce que l’on pourrait prendre pour du j’m’en foutisme interpelle forcément.
Ce retour aux sources des années Corman auquel se mêle la tragédie personnelle de Coppola ne rend pas le film meilleur, mais il conforte le spectateur dans l’idée que oui, derrière l’extrême stylisation de l’image qui contraste avec le scénario de série Z, il y a quelque chose de bouleversant et que le réalisateur d’Apocalypse now nous prépare quelque chose.
Savoir quoi est un autre problème.

Alors oui, Twixt pose un problème : ce qui serait ridicule chez d’autres, serait kitsch ici. Réaliser un film de genre fauché serait donc un "retour aux sources" chez Coppola. Ce qui navre chez les uns amuse quand c’est un maître derrière la caméra.
Certes, mais le film fascine et amuse et surtout le maître en question y a mit une séquence, LA séquence, qu’il semblait éviter depuis 30 ans.
Tout cela n’est pas très objectif ?
Celui qui pense que la critique est objective n’a rien compris au cinéma.

Jeremy Sibony

I Wish - Nos voeux secrets-

Réalisé par Hirozaku Kore Eda - Avec Koki Maeda, Ohshirô Maeda, Ryôga Hayashi,, Jô Odagari, Yui Natsukawa,Kyara Uchida - Japon - 2h08


Hirozaku Kore-Eda racontait dans « Nobody Knows » l’histoire d’enfants livrés à eux-mêmes par une mère irresponsable.
9 ans après, « I Wish » pourrait être vu comme une version édulcorée de ce film. C’est à la fois tout son intérêt, c’est aussi un peu la limite de ce film mineur dans l’œuvre du réalisateur mais attachant.
Ce plaçant une nouvelle fois à hauteur d’enfant, le cinéaste japonais montre des adultes moins irresponsables mais assez immatures. On suit donc des groupes d’enfants vivant presque indépendamment de leur parent, deux frères séparés par le divorce de leurs parents décident de se retrouver à mi-chemin de leurs deux villes pour assister au croisement de deux TGV, ce qui comme chacun sait permet de voir un de ses vœux se réaliser.
Ce que raconte Kore-Eda, ce sont les derniers moments d’innocence de gamins qui vont devenir des adultes. Filles et garçons se mélangent encore sans arrière pensées, le monde n’est pas encore jugé trop menaçant pour renoncer à l’équipée, le monde est encore assez simple pour que deux frères arrivent à faire ce que leurs parents sont incapables de mettre au point : se retrouver quelques instants.
Le réalisateur filme ces enfants dans un cadre large, où rien ne semble les menacer. Une ville de campagne presque déserte, les alentours d’un centre commercial fermé, ce sont les enfants qui donnent le mouvement du film : les plans sont fixent, Kore-Eda sait que l’énergie viendra du mouvement de ses petits acteurs qui marchent, courent, parlent, s’agitent là où les adultes sont absents ou enfermés.
Pas de niaiseries, pas de chantage émotionnel : l’enfance est filmée à travers une petite épopée, comme toujours, le cinéaste recherche la simplicité.
Parfois, la légèreté du propos et de la mise en scène lui joue des tours : le film patine lors de la préparation de l’équipée. Quelques scènes se répètent, les parents semblent si peu l’intéresser que le film perd un peu de sa fluidité dès qu’il s’attarde sur eux.
Quelques dialogues un peu trop explicatifs nuisent au propos (entre le couple de personnes âgées hébergeant les écoliers, entre la mère et la grand-mère), mais « I Wish » retrouve son rythme dès qu’il montre ce groupe de gamins vivant sans le savoir leur première expérience d’adulte.
Car aussi lumineux que soit le film, Kore-Eda nous emmène exactement là où il le voulait, l’air de rien, un parfum de nostalgie glisse vers la mélancolie.
Les derniers plans larges filmant les enfants se séparant à la fin de leur périple, une gare presque vide, le jeune héros retournant chez lui, seul, se retrouvant exactement au point de départ : l’expérience en plus.
Le monde s’ouvre à lui, en regardant les adultes du film on se doute qu’il ne sera plus très amusant.

Jeremy Sibony

mercredi 4 avril 2012

My week with Marylin

Réalisé par Simon Curtis – Avec Michelle Williams, Eddie Reydmane, Kenneth Branagh, Julia Ormond, Judi Dench, Emma Watson, Dominic Cooper, Dougray Scott – 1h42 – Grande Bretagne

En 1957, Marylin Monroe tournait en Angleterre « Le Prince et la danseuse » sous la direction de Laurence Olivier… Le film n’a pas laissé un grand souvenir. « My Week with Marylin » qui raconte le tournage de ce film, ne devrait pas d’avantage entrer dans l’histoire.

Marylin, sa beauté, ses caprices, sa fragilité… Le film de Simon Curtis respecte le cahier des charges de la légende.
C’est même le problème du film : jamais le réalisateur ne remet en cause la légende officielle et ce qui pourrait être un cliché du cinéma : Marylin n’était pas une actrice mais un personnage qui se contentait de traverser l’écran, touchée par la grâce.

Il suffit de voir (ou revoir) « Les désaxés » pour se convaincre de son talent de comédienne. Qu’il ait été mal exploité est un autre problème.

Heureusement, le film bénéficie du talent de Michelle Williams, excellente actrice qui parvient à nous faire croire qu’elle est Marylin, ce qui n’est pas une mince affaire (demandez à Madonna : 30 ans à vouloir être Marylin mais toujours strip teaseuse.
L’actrice incarne avec talent l’ambiguïté de la légende : icône du cinéma doutant de son propre talent.
La Marylin de Michelle Williams fait penser à la Norman Jean de « Blonde » le roman de Joyce Carol Oates, mais il y avait dans la fausse biographie une histoire de l’Amérique qui s’écrivait.
La jeune Norman Jean devenait l’icône malheureuse d’un pays machiste, dominé par des hommes qui reportaient sur l’héroïne leur propre superficialité.
Rien de tout cela dans « My Week With Marylin », juste les coulisses d’un tournage impossible et la rencontre entre Sir Olivier, acteur Shakespearien et la belle Marylin, objet de désir à qui l’on ne demande pas de jouer.
Les scènes entre Laurence Olivier, interprétées par Kenneth Branagh, (avec un naturel qui n’étonnera personne pour ceux qui connaissent l’œuvre de Branagh, entièrement placée sous la tutelle de Sir Laurence Olivier) et Miss Monroe séduisent dans un premier temps : le génie qui se rêvait star, la star qui voulait être une actrice.
Mais ces séquences se répétant et la multitude de seconds rôles talentueux (Judi Dench, Emma Watson, aux personnages presque sacrifiés) ne masquent la vacuité du film.
La belle s’amourache du jeune troisième assistant, interprété sans conviction par Eddie Reydmane, lui confie ses angoisses et ses doutes et vit avec lui un amour platonique et éphémère : le film s’enfonce dans l’eau de rose et le cliché.

« My Week with Marylin » n’est jamais déplaisant, il est simplement victime de la malédiction de Marylin Monroe : aveuglé par l’éclat de la « plus belle femme du monde », le film la regarde avec fascination et superficialité.

Jérémy Sibony

Sur la piste du Marsupilami

Réalisé par Alain Chabat – Avec Alain Chabat, Jamel Debbouze, Lambert Wilson, Fred Testot, Gerladine Nakache, Patrick Timsit, Aïssa Maïga, Jacques Weber, The Great Khali

Il n’y a rien de pire qu’une comédie pas drôle, si ce n’est une comédie pas drôle réalisée par un mec drôle.

J’aurais vraiment aimé pourvoir dire du bien du « Marsupilami », mais là, non, je n’y arrive pas…encore pire que pour Rrrrr, dont nous savions tous que ce n’était pas drôle, mais au moins nous pouvions accuser les « Robins des Bois » d’avoir perverti Alain.
Là, c’est plus difficile. On sait que le réalisateur de « Didier » essayait depuis longtemps d’adapter la bande dessinée de Franquin, créateur du Marsupilami.
Et là, en écrivant ces lignes je m’aperçois que je vais devoir mouiller Franquin et que j’ai vraiment l’impression de donner des amis à la Gestapo. (Paf !! Point Godwin Atteint !!)

Bon, on va faire comme pour s’arracher un bout de sparadrap : vite.
Une comédie où le premier sourire vous est arraché au bout d’une heure (et dieu sait que j’attendais la première mimique d’Alain Chabat), où il faut se coltiner l’éternel numéro de sous Darry Cowl de Jamel Debbouze.
Lui, par contre, c’est plus facile de dire qu’il n’est pas drôle. Depuis 15 ans, il n'est pas drôle le « comique préféré » des français, ce qui dans la patrie de Bigard et de Laurent Gerra est une performance toute relative.
Je dois être le seul à préférer Jamel dans un registre plus dramatique (Hors la loi, Indigènes notamment). D’une façon générale, il arrive très bien à ne pas me faire rire.
Entièrement parasité par l’omniprésence de Debbouze, le film réjouira d’avantage ses nombreux fans que les nostalgiques de l’humour absurde et Bédéphile d’Alain Chabat.
On regrette que l’ex nul ait décidé de se placer au second plan pour laisser d’autres comiques, nettement moins drôles que lui, faire leur show : Fred Testot, Patrick Timsit notamment.
Probablement tétanisé à l’idée se frotter à l’immense Franquin, Alain Chabat se contente du minimum, une succession de numéros de comiques nettement moins drôles que lui, le tout dans un film visiblement formaté « tout public » au point qu’il semble parfois destiné aux plus jeunes.
Le film n’est qu’un de ces « Buddy Movie » associant deux personnages que tout oppose mais qui au fil du film etc etc…
Le problème, c’est que les deux personnages restent fades, les gags convenus et qu’on attend vainement une occasion de rire franchement.
Comme obsédé par la réussite technique du Marsupilami, Alain Chabat oublie de réaliser une véritable comédie, de nous emporter dans la surenchère absurde, infantile et hilarante qui a fait le succès de cet émule du Saturday Night Live et des meilleures comédies américaines.

De ce triste ratage, on sauvera au moins Lambert Wilson, parfait en dictateur fan de Céline (comment ça quelle Céline ? Mais Céline voyons, pas l’écrivain, l’autre). Sa performance musicale est digne du Villeret dans Papy fait de la résistance. Seul Lambert Wilson semble s’insérer harmonieusement dans l’univers d’Alain Chabat, bousculant un film trop formaté et sans rythme.
Quelques mimiques Chabatesque, la voix off de Chantal Lauby et l’air ahuri du grand Alain, c’est bien trop peu.

Voilà, c’est fait, j’ai dit du mal d’un film d’Alain Chabat, je suis devenu un vieux ! J’ai honte, j’ai honte.
Mais c’est de sa faute à lui…
M’enfin.

Jeremy Sibony

mercredi 28 mars 2012

Le Policier

Réalisé par Navid Lapid – Avec Yiftach Klein, Yaara Pelzig, Menashe Noy, Shaul Mizrahi, Michael Aloni, Gal Hoyberger, Meital Barda, Rona-Lee Shim’on – Israël – 1h50

Une route vide dans le désert, des cyclistes apparaissent, sprintant dans les montées, sous la chaleur écrasante. Démonstration de force incongrue et un peu ridicule…
Ces membres de la Police israélienne s’arrêtent, regardent un paysage caillouteux en proclamant qu’il est « le plus beau du monde » et hurlent leurs noms dans le silence de l’immensité désertique.

L’ouverture du film de Navid Lapid annonce la couleur : la force dérisoire, la certitude de sa puissance le tout dans une économie de mots et de moyens, « Le policier » entend ainsi remettre en question la supposée fascination des israéliens pour ses forces de l’ordre.
Le cinéaste va ainsi répéter son message au fil de séquences brillamment mises en scène mais qui deviennent caricaturales et répétitives.
Les interminables tapes viriles que les policier se donnent en guise de salut, un barbecue où les hommes jouent à s’affronter physiquement, tandis que les femmes, souvent enceintes, les couvent du regard : On est d’abord séduit par ce regard sur un monde viril caricatural, où la place de l’homme et de la femme est prédéfinie.
Le problème de Navide Lapid est qu’il ne dépasse jamais le cliché.
Les flics sont nécessairement des salauds racistes, leur amitié n’est qu’apparence.
La deuxième partie du film répond à ces lieux communs par d’autres lieux communs : un petit groupe d’extrême gauche composé essentiellement de jeunes petits bourgeois prépare l’assassinat de riches potentats locaux.
Une fois de plus on est d’abord amusé, puis lassé. Le discours très « indignés de la république » est aussi caricatural, réjouissant au début, puis vite agaçant au fur et à mesure que le regard sur la société israélienne se fait convenu et paresseux.

Le propos est asséné sans subtilité : les flics comme les jeunes ne pensent qu’en terme de clichés ; l’ennemi est forcément arabe pour les uns, forcément bourgeois pour les autres : la confrontation entre ces deux mondes autistes finira dans le sang et l’absurdité.

Cela aurait pu nous toucher si derrière les stéréotypes Navid Lapid avait cherché des êtres humains. Mais il regarde Israël avec les mêmes œillères que ses personnages. Sans jamais chercher lui non plus à aller au-delà de la surface des choses.

La réalisation est précise, les séquences efficaces, mais ses personnages n’existent jamais vraiment. En fait de portrait corrosif d’une société qui ne vivrait que dans le cliché, on a le droit à une démonstration, esthétiquement réussie mais intellectuellement limitée.
Loué évidemment par la critique française « Le policier » dégage surtout le parfum d’une provocation de festival.

Jeremy Sibony

mercredi 21 mars 2012

Hunger games

Réalisé par Gary Ross – Avec Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson, Liam Hemsworth, Woody Harrelson, Lenny Kravitz, Stanley Tucci – 2h22- Etats Unis

La série des Harry Potter totalement adaptée et le dernier épisode de Twilight sortant cette année, Hollywood est à la recherche d’une nouvelle franchise susceptible d’attirer le public adolescent. C’est donc sur la trilogie de Suzanne Collins et sur son premier tome éponyme « Hunger Games » que Hollywood a jeté son dévolu, les studios ayant apparemment renoncé à écrire une histoire originale qui ne soit ni l’adaptation d’un best seller pour ado, ni une suite, ni un remake de l’adaptation d’un best seller pour ado, ni la suite d’un remake de l’adaptation d’un best seller pour ado…
Je ne sais pas comment ces gens se débrouillent au quotidien pour vivre avec si peu d’imagination. Je suppose que quand ils font leur liste de course, ils adaptent une vieille liste de commission trouvée chez un de leur voisin, ils en retirent tout ce qui est « hot » et c’est parti…
Je m’égare…

Donc pour mes lecteurs ayant plus de 16 ans, « Hunger Games »se situe dans une Amérique du futur et donc forcément sous gouvernement fasciste. Chaque année, la classe des riches se passionne pour une télé réalité où l’état désigne une vingtaine de jeunes parmi les populations pauvres, pour les jeter dans une forêt où ils se livreront une lutte à mort jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un.
Saluons l’incroyable originalité de l’histoire : un monde futuriste, une télé réalité en forme de combat de gladiateurs, une dictature : du pain, des jeux etc etc…
Citons « le prix du danger » ou son remake mal déguisé « Running Man » pour rappeler que l’histoire n’a rien de nouveau, si ce n’est que ce sont des jeunes (voire des enfants) que l’on envoie au casse pipe.
L’exposition de Hunger Games est donc interminable pour ceux qui ont vu ça mille fois. Stanley Tucci en présentateur excentrique singe Michel Piccoli dans le prix du danger, ça en devient gênant. Surtout qu’imiter un monstre comme Piccoli, c’est de toute façon voué à l’échec.
Donc, après avoir plagié « Le prix du danger », le roman (et donc le film) entreprend de plagier le roman de Koshun Takami : « Battle Royal » (et donc le film…)

Déjà qu’ils ne foutent rien, les scénaristes adaptent l’œuvre de quelqu’un qui ne fout pas grand chose non plus.
Ça devient un concept le travail à Hollywood…

C’est le gros problème du film : il est destiné à un public large, donc, le zigouillage sanglant d’adolescents et de jeunes enfants est filmé de la façon la moins suggestive possible.
Or l’impact du sujet repose sur l’horreur et la façon dont le public est censé se repaître de mort lente, douloureuse et sanguinolente de gamins, souvent donnée par d’autres gamins.
En rendant une copie tout public, Gary Ross botte en touche, le projet perd tout son intérêt.

Rappelons que Gary Ross est le réalisateur d’un des films les plus fades de ces dernières années : « la légende de Sea Biscuit » et que depuis ce navet, il gagne sa vie comme script doctor : c’est à dire qu’il sauve des scénarii en perdition. Traduisez : s’il reste quelque chose d’intéressant dans un scénario de grands studios, Gary Ross est payé pour le virer.

Certes sa réalisation est efficace et le film sera un gros succès qui devrait appeler l’adaptation des deux autres tomes aussi plats et fades que ce premier opus.
Seul véritable intérêt du film, la jeune Jennifer Lawrence, confirme le bien que l’on pense d’elle depuis Winter’s bones.
On espère que des scénaristes sauront lui écrire des rôles plus intéressants que ce genre d’adaptation de livres pour ados et également que les producteurs auront le courage de faire leur boulot.
Pour résumer : il va falloir se mettre un peu à bosser les enfants…

Jérémy Sibony

Aurora

Réalisé et interprété par Cristi Puìu – Avec Clara Voda, Valeria Seciu, Luminata Gheorghiu, Catrinel Dumitrescu – 3h00 - Roumanie

Un homme ordinaire dans les rues de Bucarest...
Nous ne savons rien de lui, il ne nous est pas présenté, sinon au fur et à mesure qu’il déambule d’un quartier à l’autre de la ville. L’homme ordinaire devient mystérieux, puis inquiétant.
Le réalisateur, également, interprète du personnage, ne le quitte pas une seconde.
3h00 plus tard, le film s’achèvera après que l’homme ordinaire soit devenu un criminel, laissant le spectateur hagard, stupéfait et le personnage tout aussi énigmatique.

Il serait dommage que la durée du film repousse les spectateurs tant elle est justifiée. D’abord intrigant, le film s’empare de nous pour nous plonger au cœur de Bucarest et ne nous lâche plus.
Aurora ne raconte pas tant la genèse d’un crime que les derniers instants d’un anonyme en passe de devenir un criminel. On le voit donc préparer ses crimes avec minutie, mais également être confronté à des problèmes ordinaires, à la grisaille du quotidien : une fuite d’eau, un déménagement, la visite de sa mère… La grandeur du film vient de la confrontation entre des actes banals et la montée d'une tension dont nous ne percevons pas immédiatement l'origine. Cristi Puìu montre ce qui se passe entre la préparation du meurtre et le meurtre : des faits d’une affligeante banalité. Il serait absurde d’y rechercher des explications psychologiques : les assassins prennent aussi leur douche et mangent du gâteau.
Si on ne saisit pas immédiatement les intentions de Viorel, il devient de plus en plus inquiétant, en restant toujours sur la ligne entre le parano insupportable et le parano dangereux.
Le personnage ne change pas, c’est notre regard qui évolue petit à petit : d’abord on sympathiserait avec ce brave gars, fraîchement divorcé, ayant démissionné de son travail, apparemment sous la pression de supérieurs.
Mais petit à petit quelque chose cloche : une façon de reprendre une commerçante ou un collègue. Des regards de parano, son tourment intérieur gangrène l’image. Le mal être du personnage, jamais grossièrement expliqué, jamais raconté, nous envahit. Le monde devient menaçant : les bruits de la rue, un voisin casse pied engueulant son fils, les magasins où l’on étouffe sous les panneaux et les enseignes aux couleurs criardes.
Viorel est le cousin roumain du Travis Bickle de Taxi Driver. Il devient inévitable que tout bascule, que le point de rupture est proche et quand effectivement tout bascule, le réalisateur filme ce bouleversement comme le reste : les meurtres ne sont pas plus spectaculaires que l’errance dans les rues de Bucarest. Il s’agit de filmer des actes, sans psychologie et sans rupture formelle en gardant la même distance vis à vis du personnage comme de l’événement.
C’est un pari osé mais un pari totalement réussi. Le film ne baisse pas d’intensité après le meurtre. L’ombre de ces crimes plane sur chaque scène, le film à basculé, plus rien n’est banal, le monde ordinaire est à deux doigts d’exploser, ce qui était déjà le cas au début du film mais que nous ressentons maintenant physiquement.
Une altercation verbale avec des vendeuses, une visite dans une école d’où il repart avec sa fille…
Sans jamais avoir cherché à faire un film à message, le propos nous apparaît clairement, comme à travers la mort d’un vieil homme nous découvrions la société roumaine, Aurora décrit une société violente à l'apparence policée, un quotidien ordinaire, mais qui, à travers l’esprit de Viorel devient un monde au bord de l’explosion, menaçant…
Le film se terminant sur une note d’absurdité, où pour la première fois le personnage tente, vainement, d’expliquer ses actes.
Ni explication, ni psychologie : le quotidien peut être mortel, la frontière qui sépare l’esprit malade de Viorel et le spectateur n’a jamais été aussi mince.


Jérémy Sibony

mercredi 14 mars 2012

Terraferma

Réalisé par Emmanuele Crialese – Avec Filippo Pucillo, Donatella Finochiaro, Beppe Fiorello, Mimmo Cuticchio, Martina Codecasa – Italie – 1h28

Après l’ambitieux « Golden Door », Emmanuel Crialese revient sur les terres de « Respiro » : ces petites îles du sud de l’Italie que les vacanciers visitent sans trop se demander ce que c’est que d’y vivre toute l’année.
La partie la plus réussie du film se concentre sur le quotidien d’une famille de pêcheurs, famille amputée du père mais où le grand-père et le fils cadet s’entêtent à vivre de la pêche, comme depuis la nuit des temps.
Crialese reprend brillamment un des thèmes majeurs de son cinéma, ces personnages forcés pour ne pas disparaître, d’accepter le bouleversement d’une existence séculaire.
Le changement, dans ces petites îles où l’état italien vous paye pour ne plus pêcher, c’est se consacrer aux touristes. Leur louer les maisons, faire de la mer un terrain de jeu.
Habitants parlant leur patois plus que l’Italien, jeunes sans avenir vivant dans un monde où l’harmonie entre l’homme est la nature est brisée par la mondialisation.
Le réalisateur excelle à faire ressentir la langueur pesante du quotidien de cette île du sud de la sicile. La chaleur, la terre ingrate et la mer sublime et effrayante : on est loin de la carte postale.
Dans ses meilleurs moments, le film confirme Emmanuel Crialese comme l’héritier lointain d’Ermano Olmi ou des frères Taviani. L’évocation d’un monde hors du temps sur le point de disparaître et ici perturbée par la réalité économique.
L’invasion des touristes, à la fois nécessaires à la survie mais perturbant un mode de vie qui ne les intéressent pas.
A l’invasion des touristes répond alors l’immigration interdite de boat people venus d’Afrique vers ce qu’ils imaginent être l’eldorado occidental.
C’est ce deuxième film dans le film que Crialese réalise avec maladresse.
Quand il trouve la bonne distance par des séquences courtes mais poignantes, « Terraferma » laisse entrevoir le grand film qu’il n’est finalement pas.
Des hommes désespérés sur un radeau trop petit. Les cadavres échoués de malheureux sur les plages à touristes où cette vision dantesque de nageurs au bord de la noyade, égarés dans la nuit, cherchant vainement à s’accrocher à une barque.
Le film se fait vite trop démonstratif. Filippo et sa famille recueillent une jeune femme enceinte et son fils, s’ensuivent des séquences trop significatives où le cinéaste insiste lourdement pour nous faire comprendre ce que nous avions très bien compris.
La confrontation entre une Italie pauvre qui essaye de survivre et des clandestins fuyant un enfer plus terrible encore est filmée de façon si démonstrative que le film en devienne bancal.
Le terrible « crime » du jeune Filippo en devient anecdotique. Noyé dans une plaidoirie inutile tant la force des images suffisait.

Terraferma confirme le talent de Emmanuel Crialese qui se construit une filmographie cohérente et décidément passionnante. Mais pour devenir l’égal des Taviani ou d’Olmi il faudra que le réalisateur fasse plus confiance en la force indéniable de ses images et devienne moins bavard, moins démonstratif.
Il s’imposera alors comme un cinéaste de premier plan même s’il est déjà l’un des jeunes cinéastes italiens les plus prometteurs.
Ce qui signifie entre autre qu’il reste sous estimé en France et qu’il le restera toute sa carrière…
Il est vrai que dans la patrie de la nouvelle vague, on est forcément moins exigeant avec les héritiers de Truffaut qu’avec ceux des grands maîtres italiens auprès de qui la France du cinéma nourrit tellement de complexes.

Jeremy Sibony

38 témoins

Réalisé par Lucas Belvaux – Avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia, Natacha Régnier, Patrick Descamps, Didier Sandre – 1H44- France

Le dernier film de Lucas Belvaux est une déception. Adapté du roman de Didier Decoin « Est-ce ainsi que les femmes meurent ? » « 38 témoins » est un film à thèse où le réalisateur se transforme en juge.
Le meurtre d’une femme, elle hurle, dans l’immeuble, les habitants font mine de ne pas entendre et la laissent se faire assassiner.
Sans avoir l’humour noir d’un Chabrol, Lucas Belvaux juge ses personnages et n’essaye pas vraiment d’explorer la lâcheté ordinaire, refusant de leur donner un personnage à défendre.
De ces témoins, seul Pierre (Yvan Attal) celui qui avoue sa lâcheté l’intéresse. Les autres traversent le film sans qu’on s’arrête trop sur leur cas.
Le film est lourdement significatif, le seul témoin qui éprouve des remords les récite à voix haute, les autres s’enferment dans leur mensonge sans que le film en fasse autre chose que des silhouettes.
Au cas où nous ne comprendrions pas l’acte d’accusation de Belvaux, des personnages viennent nous l’expliquer : un juge, une journaliste comme dans un mauvais Yves Boisset la parole est réservée aux bons et confisquée aux méchants.
Maladresse du scénario : les tourments du seul témoin incapable de vivre avec le poids de sa culpabilité, sont abordés à travers son rapport avec sa femme, absente le jour du meurtre et essayant de trouver le pardon.
Lui pardonnera-t-elle quand elle sera face à la réalité ?
Autant le dire tout de suite, on s’en fout : quand un meurtre sordide arrive et que l’omerta règne, les angoisses sur la pérennité d’un couple sont assez secondaires.
Les acteurs sauvent un peu l’ensemble : Nicole Garcia, Sophie Quinton arrivent à donner de l’épaisseur à des personnages stéréotypés.
Dommage également que le réalisateur ne se contente pas de filmer Yvan Attal, acteur brillant dont les silences et les regards suffisaient à faire ressentir avec finesse ce que les dialogues illustrent platement.
Belvaux retrouve parfois un peu de son talent : Il filme Le Havre comme une ville grise, étouffée par une chape de béton, comme victime du silence des témoins du meurtre. La scène de la reconstitution laisse entrevoir ce que le film aurait dû être : un regard humain sur la lâcheté ordinaire, sur l’insupportable capacité de l’homme à regarder ailleurs et se boucher les oreilles et sur la culpabilité qui ronge sans racheter la faute.
Le formidable Patrick Descamps arrive à faire de son personnage, en une séquence, le plus intéressant du film : c’est trop tard et trop peu.
Il aurait fallu un film moins bavard, une mise en scène plus subtile, bref un film dans la lignée de l’œuvre de Lucas Belvaux jusqu’ici.

Jeremy Sibony