mercredi 21 mai 2008

Un conte de noël

Réalisé par : Arnaud Desplechin Avec : Catherine Deneuve, Jean-Paul RoussillonFrance, 2H30---------------------------

Il est risible d'écrire sur le cinéma.
Risible de penser qu’une «critique» surtout sur un blog amateur comme celui-ci puisse infléchir une pensée.Un bon critique, c’est quelqu’un qui est de votre avis, un très bon critique, c’est quelqu’un qui est de votre avis sur un film qu’on n'a pas été voir et qui justifie ainsi le choix de voir Indiana Jones IV plutôt que Un Conte de noël .
Desplechin est considéré comme un cinéaste chiant, il est même le chef de file du « cinéma intello », sorte de négatif de Luc Besson petit pape du cinéma « comme les américains mais en France » réalisateur et producteur de films où la caméra gigote... Voilà un nouveau cliché stupide… Il y a plus de force, plus d’énergie, plus de vitalité dans ce conte de noël que dans tous ces films là.

Desplechin est sûrement un intello (et il serait bon que la sarkonisation des esprits n’en fasse pas une insulte), c’est surtout un réalisateur brillant qui fait de cette réunion de famille une apologie du déséquilibre et de la rupture. S’ouvrant sur le récit de la mort d’un enfant, se fermant sur un sourire, Arnaud Desplechin tente le coup d’état permanent : contre les conventions du cinéma qui devraient régir ce film, contre l’idée qui voudrait que filmer la maladie ou la mort produit des œuvres chiantes.On a vu tant de films sur la vie qui sentaient les chrysanthèmes, comment ne pas se réjouir de voir que d’une mort puisse naître un film aussi vivant.
La famille vue par (ou de ?) Desplechin, est en perpétuelle règlements de comptes : Junon, la mère indigne (quand comprendra-t-on que Catherine Deneuve est une des actrices les plus audacieuses) qui avoue n’aimer que l’ainée et mépriser ouvertement le cadet, Henri : Matthieu Amalric, imprévisible et fragile, lui-même « banni » de la famille par la sœur ainée, sans que l’on puisse vraiment en connaître les véritables raisons. Le fils maudit, à nouveau convoqué pour cette réunion de famille, car compatible pour la greffe de moelle qui sauverait peut-être la vie de Junon.
Et là, on fait simple : tous les membres de la famille sont liés les uns aux autres par des secrets, des rancoeurs, une complicité aussi. Cette tribu iconoclaste, où l'on réclame aux enfants de rembourser la vie donnée, où une sœur peut obtenir l’exclusion de son frère de la famille. Mais la tribu ne sombre jamais dans l’ignoble. Cruelle et fragile, cette famille dysfonctionnelle n’en est pas moins unie, par la haine ou le ressentiment autant que par l’amour : on ne sait pas,Desplechin ne choisit pas. Que l’on essaye d’élaborer une fonction mathématique sur l’espérance d’une vie ou que la colère d’Henri explose, peu importe : le « conte », c’est que cette famille soit réunie, comme dans la Famille Tenenbaum de Wes Anderson, la « morale » n’est pas une vertu.
Les séquences se heurtent, drôles ou aux accents de tragédies grecques : émouvantes et pathétiques. Le cinéaste sur un sujet qui aurait pu paraître vain, maintient une tension dans chaque scène qui menace de faire imploser le foyer ou ce qu’il en reste.Caméra à l’épaule, lumière chaude de l’intérieur qui contraste avec la blancheur de l'extérieur, Desplechin trouve une fluidité dans la mise en scène qu’on ne lui connaissait pas. La mort et la maladie semblent maintenir la famille en vie, en agitation perpétuelle : à la tristesse, Desplechin préfère le bordel. La maison « hantée » (par un croquemitaine pour enfant ou par le fantôme de Joseph) .
Les pièces semblent autant de métastases : disputes, bagarres mais aussi discussions et retrouvailles. Comme le corps de Junon, la greffe d’Henri peut sauver la famille ou l’achever. Henri peut même essayer de s’enfuir par la fenêtre, il ne franchit pas le seuil de la maison : l’exclu est maintenant trop précieux, mais ce conte de noël n’est pas du tout cynique.

Là où Ozon échouait dans son jeu de massacre familial avec Sitcom , Un conte de noël évite les stéréotypes là ou Ozon sombrait dans la caricature.Le spectateur est sans cesse bousculé, dérangé. Les personnages ne sont pas tant des étrangers pour les autres que pour eux mêmes. Entre les deux grands malades que sont Junon et Henri, les personnages, en apparence plus raisonnables, cachent, mal, leurs secrets, leur difficulté à trouver leur véritable place dans cette sarabande infernale et comique.Ce que le cinéaste traduit fort bien en maintenant ce déséquilibre, le spectateur semble ainsi découvrir les actions et réactions des personnages en même temps qu’eux.
Cette liberté des personnages, liberté de dire ce qu’ils veulent même si cela blesse le voisin ou heurte la morale, est d'abord celle de la mise en scène : être toujours là où on ne l’attend pas, laisser le plan durer quand on croit que la scène est jouée, refuser les passages obligés du "drame familial". Ils sont rares les films où l'on ressent un tel bonheur de filmer du réalisateur, scrutant des personnages et des âmes toujours en mouvement.
Suivant l'être qui cherche sa place : être un bon fils ou le mouton noir, refuser d’être une bonne mère, refuser d’être une belle-fille idéale, ou regretter de n'être qu’un cousin et d’être passé à côté de la femme réservée à l'un des frères.Junon a bouleversé l'ordre des choses en refusant de suivre le code de la mère idéale. La mort de Joseph qui impliqua la procréation du dernier née Ivan, dans le seul but de lui fournir de la moëlle osseuse compatible (aveu terrifiant que Desplechin « expédie » avec un naturel glaçant) acheva de fonder les bases de cette famille sur les ruines de l’ordre naturel, pour faire des Vuillard des étrangers dans Roubaix. Retranchés dans leur maison comme les cow boys de Rio Bravo … Seul l'amour bienveillant que se portent Abel et Junon reste une référence. Chacun est donc en représentation, se donne en spectacle : comme l'était la troupe d'acteurs du Septième sceau qui feintait d'autant mieux la mort.

Dans ce cinéma que certains voudraient balayer en le qualifiant « d’intello » rien n’est figé, rien n’est définitif : tout travail, tout avance : les pensées, les conflits, la maladie, les corps. Le dénouement restera en suspens : une pause (deux pauses en fait), qui laissent deviner que la représentation continuera : Henri jouera encore avec la vie de sa mère, pirouette finale où peuvent se lire la vengeance enfantine d’un fils comme le désir de jouer, de s’amuser, au dépens apparent de la mère mais d'un jeu qui ridiculise la maladie.

De ce film malpoli, agité sombre et incroyablement dense surgit alors un dernier sourire, apaisé…ou peut-être pas, peut-être est-ce juste une pause dans la sarabande.Virtuose, le cinéma d'Arnaud Desplechin n'a jamais paru aussi libre et le spectateur aussi vivant..

Jeremy Sibony