mercredi 30 mai 2012

Prometheus

Réalisé par Ridley Scott – Avec Noomi Rapace, Michael Fassbender, Charlize Theron, Idris Elba, Guy Pearce, Logan Marshall-Green – Etats-Unis – 2h03

Après la suite, après le prequel, voilà le faux prequel…
A une époque où les grosses productions consistent souvent à adapter paresseusement des BD, des séries télés puis à les décliner en d’interminables suites et « prequel », il faut au moins reconnaître à Ridley Scott une certaine audace.
Il eût été si simple de donner au public ce qu’il attendait : un prologue au premier Alien qui lui permettrait de réutiliser les vieilles recettes éprouvées.
Prometheus a une véritable ambition, celle de créer une nouvelle légende du cinéma de science fiction, digne du réalisateur d’Alien et de Blade Runner qui contribua à faire du cinéma de genre un cinéma d’auteur à part entière.

Prometheus n’assume son statut de prologue, qu’à la toute fin du film, pour l’essentiel, il s’agit d’élucider un mystère : l’identité du « space Jockey », ce géant que l’équipage du premier Alien retrouvait fossilisé et éventré.
Question essentielle pour Ridley Scott mais annexe pour le spectateur…
Le résultat final est assez décevant, on peut douter que l’aventure Prometheus accède également au rang de mythe de la science fiction.
Au-delà d’une réussite visuelle indéniable, le film est assez banal. Une équipe d’humains sur une planète hostile, une énigme qui se transforme en angoisse et le jeu de massacre qui commence.
C’est du vu et revu et pas seulement chez Scott lui-même.
L’audace dont le réalisateur a su faire preuve pour accoucher d’un projet inédit et non d’une énième déclinaison d’une franchise lui manque quand il faut donner à cette œuvre un soupçon d’originalité.
Dans ses meilleures séquences, le film est l’esquisse de ce qu’il aurait dû être : l’humanoïde veillant seul pendant des années sur le sommeil des humains, sa passion pour Lawrence d’Arabie de David Lean, la vision des extraterrestres « créateurs » devenus des dieux destructeurs sans compassion ni intérêt pour l’humanité.
Un zeste de pessimisme dans un genre devenant de plus en plus consensuel, une belle idée.
C’est la grande idée mal exploitée du film : les humains veulent comprendre, approcher l’éternité. Les extra terrestres sont d’insensibles dieux sanguinaires : l’anti-avatar.
Hélas, si Scott est moins niais que Cameron, il est aussi plus sage.
A l’exception des personnages interprétés par Noomi Rapace et Michael Fassbender, les autres ont bien du mal à exister. Charlize Théron a l’air de se demander ce qu’elle fait là.
L’intérêt réside vite dans les petits détails qui rappellent Alien : lumière sombre, les radars « pac man » où les êtres vivants sont signifiés par des points sur un écran (là encore une bonne idée peu exploitée, le curseur qui ne bouge pas, à l’inverse de celui mouvant du premier Alien).
Noomi Rapace devenant une Sigourney Weaver avant l’heure, on attend juste que le prequel s’assume comme tel, un comble !
Du film en lui-même on s’est vite désintéressé.
Forcément, il y a une maîtrise formelle assez impressionnante, la marque de Ridley Scott.
Mais le scénario si faible, si convenu ronge le film de l’intérieur…
A vouloir brasser trop de choses : la création de l’homme, les origines d’un mythe, un suspens sanglant, Scott semble esquisser son film.
Comme s’il avait oublié que c’est la simplicité du récit qui avait fait la force du premier Alien.
Comme s’il avait oublié les règles du cinéma de genre, tellement obnubilé par l’idée de réaliser un grand film.
Le résultat final ne rivalise pas avec Alien et certainement pas avec Solaris de Tarkovski.
Et de cette nouvelle saga qui s’annonce, ne subsiste pour le moment que les prémisses du chef d’œuvre de 1979.

Ironiquement Prometheus raconte bien l’histoire cruelle d’un créateur victime de sa création…

Jeremy Sibony

Les femmes du bus 678

Réalisé par Mohamed Diab – avec Nahed el-Sebai, Boushra , Nelly Karim, Omar el-Saeed, Basem el-Samra, Maged El Kedwany – Egypte- 1h40


« Un grand sujet ne fait pas un grand film », d’accord, mais ça ne nuit pas non plus et, dans le cas des « Femmes du bus 678 » ça peut contribuer à en faire un bon film, voir un film nécessaire, à projeter dans nos écoles.

Il faut d’abord se réjouir qu’un tel film ait pu voir le jour, surtout réalisé par un homme, ce qui est une bonne nouvelle pour la condition de la femme en Égypte (et pas seulement) peu importe pourrait-on même ajouter si cinématographiquement le film n’est pas tout à fait abouti, le principal est que cette histoire soit racontée.
L’histoire, c’est celle de trois femmes subissant le harcèlement ou même les violences sexuelles des hommes et du silence dans lequel on les mure.
Rappelons qu’en Égypte, il aura fallu attendre 2008 pour que soit condamné le premier coupable d’agression sexuelle.
Comme dans toutes les sociétés de frustrés planqués derrière la religion et les coutumes, la femme doit se taire, nier sa féminité et demander pardon de soumettre les hommes à la tentation.
Les trois héroïnes du film, appartenant à trois milieux socialement différents, subissent l’une les attouchements des hommes dans un bus, l’autre une agression sexuelle en pleine rue, la troisième enfin un quasi-viole collectif à la sortie d’un match.
Dans les trois cas, les femmes sont condamnées au silence et à la honte.
Chacune va essayer de se révolter : l’une s’opposant à sa famille pour porter plainte, l’autre, donner des cours d’autodéfense, la dernière enfin, la plus désespérée car victime de la loi des hommes et de celle de la religion, se vengera en poignardant les males libidineux à coup d’épingles là où ça fait vraiment très mal.
Elle devient l’héroïne anonyme de millions de femmes victimes de violences ou harcélement sexuels.
Dans ce monde ubuesque où on ne porte pas plainte après une agression contre une femme, la police est priée de trouver la criminelle qui fait planer une menace sur une société d’obsédés.
Dommage que le film semble conçu pour un dossier de l’écran local. Mohamed Diab ne filme pas des personnages mais des stéréotypes, une bourgeoise, une jeune, une femme vivant dans la tradition, cela lui permettant de donner l’aspect le plus général possible à sa démonstration.
Certaines situations semblent mêmes totalement artificielles, tout particulièrement l’enquête policière et le personnage même du commissaire : d’abord insensible puis découvrant à ses dépends la réalité de la condition féminine.

Les autres personnages masculins, tous plus veules et lâches les uns que les autres ne sont guère plus fouillés. Triste panel d’une société phallocrate et moyenâgeuse.
Si la dénonciation est salutaire, si on se sent tour à tour impuissant, en colère et solidaire de ses femmes, il aurait fallu plus de finesses pour répondre à des questions que le réalisateur/scénariste ne fait que poser, notamment pour savoir comment une société dans laquelle les femmes pouvaient se promener habiller comme elle l’entendait, au moins dans les grandes villes, a-t-elle pu se muer en une société de frustrés qui asservissent les femmes au nom d’un code d’honneur imbécile et de pratique d’un autre temps.
La force du propos réussit à transcender un récit qui louche maladroitement du coté des scénarii de Guillermo Arriagas et des films de Gonzalez Inarritu. Dans les mains incertaines du cinéaste égyptien, le système tourne court, on a peine à croire à la rencontre de ces trois femmes…
Il aurait aussi fallu autre chose qu’une mise en scène purement illustrative pour faire un grand film avec un grand sujet, ce qui aurait eu pour vertu première de donner plus d’impact encore au message du film.
Pourtant, on reste suspendu au récit, « Les femmes du bus 678 » faisant ainsi la jolie démonstration que le cinéma peut s’incliner devant une cause quand celle-ci est filmée avec sincérité à défaut d’audace formelle.
Espérons que ce film trouvera un écho dans son pays d’origine évidemment, mais aussi partout ailleurs et notamment en France.
Une fois de plus, la projection des « Femmes du bus 678 » dans les lycées et collèges serait salutaire.
Une société qui laisse les femmes percevoir un salaire moindre que les hommes pour un poste similaire ne peut pas s’estimer suffisamment civilisée pour regarder la société égyptienne de trop haut.
Enfin, le printemps arabe ayant accouché en Égypte d’un renforcement des partis intégristes, on peut douter que les femmes soient sorties d’affaire : le courageux film de Mohammed Diab est plus que jamais d’actualité.
Le cinéma ne change rien à la vie, on le sait bien, mais il est au moins un motif d’espoir quand d’authentiques chefs d’œuvres paraissent à coté d’une totale vacuité.

Jeremy Sibony

vendredi 25 mai 2012

Cosmopolis

Réalisé par David Cronenberg – Avec Robert Pattinson, Paul Giamatti, Sarah Gadon, Kevin Durand, Samantha Morton, Juliette Binoche, Matthieu Amalric – Canada- 1h50

«Un spectre hante le monde. Le spectre du capitalisme ».
Marx détourné, Dieu mort, le monde est dirigé par des spectres comme Eric Packer : jeune multimilliardaire, héraut de la spéculation, héros du roman de Don de Lillo « Cosmopolis » adapté par David Cronenberg.
Disons plutôt que le cinéaste canadien s’est réapproprié le livre pour accoucher d’un monstre, à la fois somme des thèmes habituels du cinéma de Cronenberg mais aussi vision apocalyptique d’un monde qui s’effondre, sans qu’on puisse dire si c’est une si mauvaise nouvelle…

Eric Packer veut une coupe de cheveux, il n’en a visiblement pas besoin et traverser New York en ébullition est une mauvaise idée, mais il veut sa coupe de cheveux …
Commence alors un quasi huis-clos dans sa gigantesque limousine.
Huis-clos ? C’est pourtant tout un univers que filme David Cronenberg. Le monde d’Eric Packer se réduit à l’intérieur de cette immense voiture aux vitres fumées et totalement insonorisée, mais à l’intérieure le sort de millions de gens se discute de façon honteusement abstraite. Toute la vie de Packer se retrouve en une unité de temps et une unité de lieu : amour, sexe, visite médicale.
Sourd et aveugle au monde qu’il contribue à détruire, le spectre vit littéralement dans sa bulle, convoquant ceux dont il a besoin qui l’attendent aux coins des rues, pendant que son empire sombre et que le chaos règne à l’extérieur.
Ce pari insensé de raconter la chute d’un homme dans sa voiture, Cronenberg le relève avec une inventivité d’autant plus admirable qu’il ne tourne pas à l’exercice de style.
Changement de focales, de cadre, multipliant les points de vues sans se répéter et surtout sans que le tour de force technique ne nous déconnecte du drame qui se joue. Puisque la limousine est un monde, alors la mise en scène ne doit pas enfermer ce monde en quelques plans.
L’autre pari insensé et relevé de l’adaptation du roman, c’est d’avoir libéré la parole au point d’en faire un personnage du film. La parole, ou plutôt son déferlement, son débit (dans le sens du débit d’un fleuve), devient une excroissance organique.
Le contraste avec l’absence presque totale de son extérieur crée un univers inquiétant : comme si les vitres n’étaient qu’un téléviseur diffusant les images d’un monde virtuel, alors même que nous sommes dans le véritable univers virtuel.
Comme les héros d’ « Existenz », les héros évoluent dans un monde parallèle sans en avoir conscience. La parole est leur seul lien à l’autre, seule échange : on parle de fric, de devises, de marchand d’art, de théories sur l’argent et le gain, alors que chaque propos semble contredire ou au moins éclairer sous un angle nouveau par ce que nous percevons du monde extérieur.
Le scénario a tenu à conserver les dialogues prémonitoires de Don de Lillo : jusqu’à ce que se dégage un monde chaotique, sonore comme visuel : du hors champs et de ce que nous parvenons à distinguer des vitres, nous devinons et apercevons des hommes en rage, une foule au bord de l’insurrection. Protégé du monde, à peine secoué par les manifestants, Packer parle, écoute : les dialogues rongent le film…
Mais la parole ne résout rien, elle fait partie de ce monde virtuel dans lequel évolue Packer.
La masse, elle, évolue dans un monde de plus en plus matérialiste.
La marque des puissants est de vivre dans le virtuel : leur système financier, leur univers tout entier, même un simple mariage : tout est virtuel...
Mais on sait que chez Cronenberg, on paye dans la réalité la confusion avec le virtuel.
Les premières victimes sont les gens ordinaires.
Mais, sans que le réalisateur n’ait le mauvais goût d’en faire une victime, Eric Packer lui-même ne supporte plus cette existence morne, cloîtré dans la prison en cuir, à la recherche de sensation.
Il a besoin d’une coupe de cheveux… Cet étrange caprice qui constitue au début une preuve de son aliénation devient la dernière bribe, inconsciente d’humanité.
La coupe de cheveux, mais pas n’importe où, dans un endroit où il fut libre autrefois.

Tout se passe comme si ce fantôme qui traverse New York sourd au désastre qui l’entoure voulait revenir chez les vivants, chez les mortels.
Incapable de ressentir quoi que ce soit d’autre qu’une fouille rectale, insensible à sa ruine, à la douleur des autres, sans affect ni humour.
Comment s’étonner alors que Cronenberg ait choisi Robert Pattinson, le héros de Twilight, pour jouer un personnage plus proche de Nosferatu que le vampire de la franchise pour ado.
Pattinson est parfait : golden boy désincarné, à la fois symbole d’un capitalisme triomphal et roi nu.
Le film oscille ainsi entre le silence du royaume de Packer et le fracas du monde réel où il fait de rares incursions.
Elles donnent une respiration au film et à l’exception d’une séquence ratée dans une chambre d’hôtel redondante et inutile, les scènes ne rompent pas le rythme du film, elles sont autant d’étapes soulignant l’isolement et la chute du héros.
Lorsque enfin la ballade cesse, le silence de la voiture semble avoir gagné le monde extérieur, ne reste plus à Eric Packer qu’à se confronter à sa Némésis.
La scène fera débat : un affrontement verbal avec un perdant, un paumé victime du golden boy, plus de 20 minutes de dialogue. Le point culminant d’un film incroyablement bavard et pourtant physique. Car la confrontation est surtout physique : celle de Paul Pattinson contre celle de Paul Giamatti
Trop long ?
Trop long la rencontre de deux mondes qui se sont côtoyés pendant toute la durée du film et qui pour la première fois échangent ?
Trop long un face à face qui est devenu impossible hors d’une fiction ?
Le roman de Don de Lillo est prophétique, le film de Cronenberg est presque utopique : le monde s’écroule sans que les responsables ne sortent jamais de leur univers aseptisé.
Cosmopolis se clôt sur un suspens qui n’existe pas dans le livre. David Cronenberg ne cherche pas à finir sur une note d’espoir après un tel déferlement nihiliste : il nous laisse face à notre choix, à notre idée de ce que serait une fin morale dans un monde immoral.
La parole n’a aucun sens, les dialogues sont abscons, l’image ne fournit pas de réponse non plus : il n’y a que le chaos et ce qu’il en ressortira.
Au moins un grand film. C’est déjà ça.

Jérémy Sibony

mercredi 23 mai 2012

Men In Black III

Réalisé par Barry Sonnenfeld - Avec Will Smith, Josh Brolin, Tommy Lee Jones, Emma Thompson, Jemaine Clement, Michael Stuhlbarg – Etats Unis – 1h43

Men in black fut la belle surprise de l’été 1996. Barry Sonnenfeld trouvait l’équilibre parfait entre dérision et science fiction. Le duo Tommy Lee Jones/ Will Smith donnait un coup de jeune aux numéros du clown blanc et de l’auguste, des effets spéciaux impressionnants nous permettaient de découvrir une galerie d’extra terrestre aussi originaux qu’amusants.
Aucune des deux suites n’aura donc été à la hauteur et on aura bien du mal à parler de trilogie vu l’écart entre l’original et les deux séquelles.

Men in Black 3 n’est pas aussi raté que le deuxième opus, film bâclé, que personne ne voulait faire et qui débouchait sur une véritable arnaque.
Cette fois le scénario justifierait presque l’entreprise : un affreux E.T décide de remonter dans le temps, d’éliminer l’agent K (Tommy Lee Jones) avant qu’il l’élimine. L’Agent J (Will Smith) part donc en 1969 pour sauver la mise de son futur partenaire.
La première partie du film est assez réussie : l’évasion d’un terrible monstre ou la visite dans un restaurant chinois à la carte pleine de surprise, le film semble retrouver le rythme du premier chapitre.
La bonne surprise c’est la présence d’Emma Thompson, grande dame du cinéma, dans un joli moment de dérision dont raffolent les acteurs shakespeariens.
Hélas, passées les scènes d’exposition, il faut passer aux choses sérieuses : le voyage dans le temps, c’est là que les choses se gâtent, surtout pour le spectateur.
Si l’on excepte un gag récurrent : Will Smith débarquant à une époque où les noirs sont suspects…surtout en costume, le film sombre dans l’ennui puis dans la niaiserie absolue.
Will Smith fait son numéro en vain, un personnage d’extra terrestre sympathique englue le scénario dans de la guimauve, une inutile poursuite en moto futuriste symbolise le manque d’inventivité de la mise en scène.
Barry Sonnenfeld que l’on appréciait pour son mauvais esprit hérité de son travail de directeur de la photo auprès des frères Coen semble expédier les affaires courantes.
Si Men In Black n’a jamais été un film subversif, il y régnait une atmosphère gentiment iconoclaste totalement absente de Men In Black II et III.
La présence d’Ethan Coen au générique du film, crédité comme scénariste, reste un mystère. Le scénario est bancal, on a rarement vu le thème du voyage dans le temps si mal exploité, pour ne pas dire expédié en quelques séquences sans grand intérêt.
Les petites trouvailles visuelles qui faisaient la richesse du premier sont resservies sans conviction (l’écran aux « extra terrestre sous surveillance ») et n’apportent strictement rien de neuf qui rendrait ce troisième épisode singulier.
Quand à la scène finale, le climax de toutes superproductions qui se respectent tourne au téléfilm : filmé mollement, sans idées.
Le film finit dans un magma de bons sentiments, une « révélation » dont on se serait bien passé.
Pas grand chose à sauver donc, si ce n’est le jeu de Josh Brolin : interprétant l’agent K jeune, Brolin se livre à une réjouissante et parfaite imitation de Tommy Lee Jones, retrouvant le débit de l’acteur Texan et se réappropriant son jeu laconique.
Le « ok » du jeune agent K acceptant de croire, sans rien y trouver à redire, le récit improbable de Will Smith racontant le but de son voyage dans le temps, suffirait presque à justifier cette suite.
Presque…

Sur la Route

Réalisé par Walter Salles – Avec Sam Riley, Garrett Hedlund, Kristen Stewart, Kirsten Dunst, Tom Sturridge, Viggo Mortensen – Brésil/ France – 2h20

Serpent de mer du cinéma Hollywoodien, l’adaptation par Walter Salles du roman de Jack Kerouac, pardon du « romancultedunegénération » de Jack Kerouac « Sur la route » décevra forcément les fans du livre.
Il faut bien parler de « fans », car le roman fondateur de la Beat Generation fait l’objet d’un culte qui lui vaut un deuxième lieu commun « inadaptable », comme tous les romans sauf ceux de Pagnol si l’on a bien compris.
Son passage à l’écran est vécu comme un sacrilège, surtout par un cinéaste aussi classique que Walter Salles.
Sauf que la vraie question n’est pas de savoir si le roman est inadaptable mais s’il y avait un intérêt à l’adapter ?

On est très loin du ratage intégral que prédisaient (espéraient ?) les gardiens du temple. Il est même indéniable que Salles, en en faisant un road movie assez conventionnel, sans chercher à retranscrire ce que ce livre avait de révolutionnaire à sa sortie, rend un joli service à Kerouac.
Le film reste gentiment anecdotique et n’édifiera pas les foules adolescentes comme le fit le roman. C’est même une assez belle preuve de maturité.
Soyons clairs : le livre vieillit très mal. Quiconque relit « Sur la route » est frappé par le contraste entre une écriture qui bouscule encore le lecteur et une histoire niaise enfilant les clichés sur la jeunesse qui « brûle, brûle, brûle ».
Et pour cause : le livre a inventé les thèmes, mille fois répétés et devenus d’insupportables lieux communs.
C’est là que se situait le grand risque d’une adaptation.
Le style demeure qui sauvera l’œuvre, mais il ne fallait pas compter sur le réalisateur efficace mais bien sage de « Carnets de voyages » ou « Central do Brasil » pour trouver un langage cinématographique aussi novateur que fut, en son temps, le style de Kerouac.
En réduisant le film au road-movie, Salles reste donc dans un territoire qu’il connaît bien, une photo travaillée caméra en mouvement, un montage rythmé mais qui rend palpables les kilomètres parcourus et le désenchantement au bout de la route.
Ce manque d’ambition stylistique est une hérésie et dresse la limite du film, mais Walter Salles nous épargne le discours écolo-bobo qui faisait d’un film comme « Into the Wild » un abject salmigondis de clichés pour adolescents.
Sans complaisance pour l’œuvre sacrée, le film de Salles remet en perspective la misogynie du roman : Kirsten Dunst et Kristen Stewart donnant à leur personnage une dimension, certes relative, mais qui n’existait pas dans le roman de Kerouac pour qui les femmes étaient juste des jouets ou des emmerdeuses.
Bien sûr l'audace et la recherche et de façon générale tout ce qui rendaient excitant la lecture sont totalement absents du film, même la rencontre avec Burroughs, fondatrice du mythe, est ici purement anecdotique, tout juste sauvée par Viggo Mortensen sous-employé.
Réalisateur efficace mais sans imagination, le salut de Walter Salles réside dans ses acteurs.
Comme pour Gabriel Garcia Bernal interprétant le Che, la direction d’acteur consiste à ne pas incarner un mythe mais un personnage ordinaire qui n’a pas conscience de ce qu’il deviendra aux yeux du monde.
Sam Riley : en Sal paradise, le double de fiction de l’auteur, reste sobre, loin du cliché de l’écrivain torturé s’efface derrière le véritable héros : Dean Moriarty (Gareth Hedlund, une révélation ), figure d’une jeunesse qui au lendemain de la guerre voulait élargir ses horizons, une jeunesse qui a vu dans le voyage un accomplissement mais trouvé le désenchantement au bout de la route.
Plus que le récit d’une époque révolue, « Sur la route » trouve son chemin en restant fidèle à son époque, La deuxième décennie du XXIeme siècle. 60 ans après le livre, la réussite relative du film réside dans sa façon de tirer un trait sur les rêves d’hier et de chercher dans l’acte fondateur de la beat-generation les prémisses de la désillusion.


Jeremy Sibony

mercredi 16 mai 2012

De rouille et d'os

Réalisé par Jacques Audiard – Avec Marion Cotillard, Matthias Shoenaerts, Bouli Lanners, Corinne Masiero, Céline Salette – France – 1h55

Après deux incursions magistrales dans le polar ("De Battre mon coeur s'est arrêté", "Un Prophète"), Jacques audiard revient à une histoire en apparence plus classique, assez proche en tout cas de "Sur mes lèvres", le dernier (et unique) film décevant du réalisateur. "De rouille et d'os" démontre superbement à quel niveau se situe désormais l'oeuvre d'Audiard. "Sur mes lèvres" n'arrivait jamais à totalement s'affranchir d'un scénario moyen, cette nouvelle incursion dans le mélodrame le plus piégeux achève elle brillamment la mue du scénariste au metteur en scène.

On ressort une fois de plus estomaqué par la puissance de la mise en scène, presque épuisé par la tension et la densité qui parcourt chaque séquence. Si dans l’esprit étroit d’un critique de libé la créativité est un défaut, dans celui du spectateur lambda comme des cinéphiles ressentir physiquement un film est une expérience rare.

L’idée de départ faisait pourtant craindre le pire : l’adaptation d’un roman de Craig Davidson, l’histoire d’une jeune femme amputée des deux jambes et d’un boxeur bas du front : Intouchables version mélo…
Sauf que contrairement au blockbuster Français, un vrai cinéaste s’est emparé du sujet. La réalisation et le jeu des deux héros : Matthias Schoenaerts déjà remarquable dans "Bullhead" et Marion Cotillard d’une très belle sobriété, tout participe à faire du film un « anti mélo».
On se demande même si la platitude du sujet n’était pas la motivation première de Jacques Audiard.
Parfois, on a même l’impression que le réalisateur traîne son sujet comme un boulet, comme si ce qui l’intéressait était justement la façon de s’en libérer et le film frôle alors l’exercice de style. Mais funambule, il reste sur son fil, par le jeu des comédiens et le regard que porte sur eux Jacques Audiard prend soin de ne pas les étouffer et crée entre personnages et spectateurs un rapport presque sensuel.
Il faut le souligner, loin d’un technicien, le cinéaste est un sensuel.
Ce qui magnifie une histoire facile et un scénario parfois faiblard.
On peut aussi regretter que l’arrière plan « social » soit mis soudainement en avant de façon si fabriqué, cette partie du film, qui voit le personnage interprété par Bouli Lanners un peu sacrifié, est soit bâclée soit en trop.
L’accident scénaristique est ici évité par la présence de Corinne Masiero (la bouleversante héroïne de « Louise Wimmer »), mais se conclue par un procédé scénaristique un peu tiré par les cheveux.
N’ayant pas lu le roman, difficile de savoir si cette faiblesse du scénario vient de l’adaptation ou du livre, toujours est-il que le film s’essouffle sur la fin, avant qu’une fois de plus, la mise en scène finisse par avoir le dernier mot…

Nous pouvons toujours essayer de jouer au plus malin, mais à ce degré de maîtrise, le spectateur n’a presque plus le temps de s’attarder sur les faiblesses de l’écriture. Le cadre, le montage, la musique et surtout le son : nous sommes littéralement immergés dans le film de Jacques Audiard : les boxeurs sont magnifiques, les orques sont magnifiques, la lumière qui baigne cette horrible cote d’azur est magnifique, tout fait sens ou plutôt tout fait appel à tout nos sens : le film se trouve là, dans l’état d’extrème attention dans lequel nous sommes maintenus : l’histoire d’amour mélodramatique ou le dur combat d’une handicapée pour vivre comme tout le monde, tous ces thèmes sont évités, balayés…
C’est la forme qui crée le fond, pas un scénario un brin paresseux. Le cinéaste possède le don de trouver le cœur de la scène, sans aller chercher la petite larme du spectateur par des séquences faciles et attendues, l’émotion arrive comme à l’improviste, un son, un gros plan suffit à faire basculer le film.

« De rouille et d’os » avance au rythme d’Ali et Stéphanie, ses deux héros, la brutalité et la sobriété. Brutalité quand Jacques Audiard film frontalement le handicap, une amputée faisant l’amour ou les combats hyper violents de marginaux qui n’ont que ces combats de gladiateurs modernes pour gagner leur argent. Mais ce sont surtout les plans les plus inattendues qui sont la marque du grand cinéaste : un enfant caché dans une niche, le visage d’un boxeur vaincu, Stéphanie répétant les gestes de son métier d’avant…
Ce sont les séquences les plus sobres qui, conjugués à la violence d’autres images, fondent un lyrisme propre au cinéma d’Audiard. Un cinéma qui semble découvrir ses personnages en même temps que le spectateur.
L’histoire d’amour est au second plan et n’intéresse le réalisateur que parce qu’elle révèle des personnages.
Tout comme « Un prophète » n’était pas un film sur le milieu carcéral ou « Un héros très discret » sur la guerre, « De rouille et d’Os » n’est pas une histoire d’amour : juste l’histoire de deux rédemptions dont rien ne nous dit d’ailleurs qu’elles soient achevées.

Incontestablement, le cinéaste fait étalage de son talent, ça peut déplaire à certains. Effectivement on ne doute pas un seul instant que faire étalage de son manque de talent soit la preuve d’une prise de risque dont certains critiques déplorent l’absence dans « De Rouille et d’os ». Il y a d’ailleurs une liste presque sans fin de réalisateurs dont la prise de risque se termine dans le platane.
A-t-on l’impression de s’être fait berné à la sortie du film de Jacques Audiard ? Oui, dans une certaine mesure et avec bonheur.
"De rouille et d'os" rappelle cette évidence qu'un certain cinéma français semble avoir oublié: peu importe au fond l'histoire d'un film, l'interêt c'est surtout qui la raconte.

Jeremy Sibony

Moonrise Kingdom

Réalisé par Wes Anderson – Avec Kara Hayward, Jared Gilman, Bruce Willis, Edward Norton, Frances Mc Dormand, Bill Murray, Bob Balaban, Tilda Swinton, Harvey Keitel, Jason Shwartzman – Etats Unis – 1h35

Avec Sofia Coppola, Spike Jonze ou Roman Coppola, Wes Anderson est un des symboles de cette jeune et brillante génération de cinéastes américains cultivant leur décalage avec autant de talents que de snobisme.
Ils n’ont pas à réaliser de pubs, ils sont des pubs, leur déférence affichée envers la nouvelle vague française leur sert de sésame auprès d’un public plus branché que cinéphile.
Leur réputation est plus (Wes) ou moins (Roman) méritée, ils sont soignées par nos journalistes comme tout bon américain qui fait acte de contrition d’être américain et qui dépeint les travers de leur société (américaine) pour le plaisir de la notre (française).
Heureusement, si Sofia Coppola est sûrement la cinéaste la plus surestimée depuis Godard, les films de Wes Anderson le sauve du syndrome tête à claque que menace tout réalisateur déifié par les cahiers du cinéma.
« Moonrise Kingdom » confirme le talent du réalisateur américain, reprenant la recette qui le révéla avec « Rushmore » et le consacra avec son chef d’œuvre : « La vie Aquatique ».
Suspecté de tourner en rond après « The Darjeeling Ilimited » et « Fantastic Mr Fox », Anderson ne se contente plus de filmer des adultes qui agissent comme des gamins et raconte l’histoire de gamins qui voudraient agir comme des adultes.
Le souci étant qu’ils le font comme des adultes Andersoniens, c’est à dire passablement dépressifs et en décalage avec le monde en apparence ordonné qui les entoure.
Pour s’occuper d’eux : des adultes qui eux agissent comme des enfants et ont du mal à assumer leur responsabilité. Jolie idée au centre du film : tandis que les enfants cherchent à se défaire de leurs habits d’enfants, les adultes sont presque tous vêtus comme des enfants déguisés : Le costume de policier d’un flic immature (Bruce Willis qui prépare joliment sa retraite de star du box office), l’uniforme de scout d’un chef scout dépassé (Edward Norton décidément parfait quel que soit le rôle ) ou les tenues diverses et variées d’un avocat au bord de la crise de nerf (Bill Murray étonnant)…
Rien de neuf sous le ciel de Wes Anderson ?
On pourrait le croire et ce n’est d’ailleurs pas déplaisant : humour pince sans rire, situation décalée, mise en scène précise et faussement sur un rythme faussement monocorde : nous sommes en territoire connue, ce qui ne poserait aucun problème si, comme pour ces derniers films, on n’avait pas l’impression de se faire légèrement avoir.
L’originalité c’est la créativité explique le jeune héros : est-ce que copier coller des scènes entières d’un univers original c’est encore de la créativité ?
C’est au moment où l’on se pose la question que le film se réveille enfin : de l’escalade habituelle des heurts et malheurs que le cinéaste aime infliger à ses personnages, ressort une mélancolie, une gravité, qui faisait la beauté de « La vie Aquatique » et qui manquait au « Darjeeling illimited » le monde moderne est habité d’individus puérils et malheureux : personne ne s’y sent à sa place… L’amour des deux gamins est incongrue parce que trop profond, celui des adultes sans issue car pas assez solide.
En opposant la figure habituelle de l’adulte enfantin à celle d’enfants singeant la gravité du monde des adultes, tout le monde est malheureux, personne n’est à sa place.
Dans ce morne monde, la fantaisie du metteur en scène est l’unique bouffée d’oxygène : elle est d’autant plus efficace qu’elle offre au spectateur l’unique branche à laquelle se raccrocher.
Il est dommage que Wes Anderson reste toujours trop sur sa réserve. La marque de la génération « Koople » : conscient de leur propre virtuosité, à l’image d’une Sofia Coppola qui filme un balai dans le derrière, planquée derrière les poses d’un cinéma graphique et référencé : surtout ne pas se mouiller, ce que font heureusement les personnages du film, littéralement. La fin du film flirtant, de très loin, avec des effusions « Hollywoodiennes », la grande terreur de cette génération de cinéastes pour qui l’émotion est une faute de goût.
L’échec, injuste de « La vie Aquatique » dans lequel Wes Anderson se lâchait d’avantage, menaçait de scléroser son œuvre pour un bon bout de temps.
Même si c’est fait timidement, même si chaque plan nous rappelle que « tout est sous contrôle », jusqu’à frôler l’anesthésie, nous retrouvons dans « Moonrise Kingdom » une audace qui ne serait plus seulement formelle.
Evidemment, il prend le risque de se fâcher avec une critique qui elle ne fait plus que prendre la pose…

Jeremy Sibony

mercredi 9 mai 2012

Dark Shadows

Réalisé par Tim Burton – Avec Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, Eva Green, Helena Bonham Carter, Bella Heatcote, Chloë Moretz – Etats Unis –1h53

Paradoxe : alors que Tim Burton fait l’unanimité auprès du public (« Alice au pays des merveilles » est son plus grand succès), comme du petit monde de la cinéphilie qui lui a fait l’honneur d’une rétrospective à la cinémathèque, on commence à s’inquiéter pour lui.

De quand date le dernier grand film de Burton : Sleepy Hollow ? Mars Attack ?
Depuis quelques années, alors qu’il possède une parfaite maîtrise de son art, ses films ressemblent à des œuvres de fans, ses propres fans.
L’univers riche et iconoclaste du réalisateur d’"Edward aux Mains d’argent" est devenu prévisible et mécanique.
Burton fait du Burton, avec efficacité mais sans audace.
Pas question de reprocher à un auteur de tracer son sillon, mais il se dégage de Dark Shadows un parfum de « déjà vu et en mieux » : on admire la direction artistique, le style baroco-gothique et le jeu de Johnny de Depp, mais il manque non pas le charme de la nouveauté, mais un contexte, un propos propre à ce film qui ferait la singularité de ce film.

Dark Shadows est pourtant l’adaptation d’une série télé des années 80, pas un scénario propre à Burton.
C’est bien le problème : Burton, s’empare d’un univers préexistant, ici les aventures de Barnabas, noble de Nouvelle-Angleterre devenu vampire par la jalousie d’une femme et se retrouvant dans les années 70 après des années d’emprisonnement dans sa tombe. Quand il ressurgit, il découvre sa descendance ruinée et s’efforcera de redonner à sa famille son lustre d’antan. Cette série inoffensive de seconde zone, le réalisateur d’Ed Wood l’adapte à sa sauce, la détourne pour en faire un produit Burtonien.
Comme pour Alice ou Sweeney Todd, Burton ne met plus en scène : il customise.
La série américaine ayant de lointains rapports avec l’œuvre du réalisateur (un monstre perdu dans une Amérique conventionnelle) est tunée comme une voiture…

Alors, oui, on mégote un peu : Dark Shadows est au-dessus des standards moyens des salles de cinéma : Johnny Depp fait du Johnny Depp, mais il le fait avec son talent : drôle ou inquiétant, si possible en même temps. La séquence d’ouverture et le générique de début donne le là d’un film bien mené par un excellent cinéaste.
Il n’y a aussi que Tim Burton pour nous rendre les humains ordinaires plus abjects et dangereux qu’un vampire sanguinaire…
Et le vampire héros, pour aussi sympathique qu’il soit, reste un assassin qui tue des innocents pour se nourrir.
Mais assez rapidement, le film n’a plus rien à nous montrer, il ronronne. Michelle Pfeiffer ou une surprenante Eva Green donne pourtant joliment la réplique à Depp, mais sans jamais vraiment ennuyer, le film nous échappe.
Autant se regarder un DVD d’un de ses films.

Burton radote, la surenchère d’effets visuels ne masque plus l’absence de propos : le film est une très belle coquille vide et malgré d’indéniable qualité Dark Shadows sera vite oublié.
Je sais bien le snobisme qu’il y a à regretter que l’on ait juste passé un bon moment, mais du réalisateur de « Batman Le défi » on attendait autre chose que ce bel objet froid.
Nous en venons à espérer un prochain film sans Johnny Depp, sans monstres se heurtant à une société conformiste, sans fausse misanthropie.
Tim Burton ressemble de plus en plus au gothique du lycée.
On en oublierait presque que « La planète des singes » est son seul film raté, n’importe qui rêverait d’avoir dans sa filmo les derniers films du cinéaste.
Tim Burton n’est pas n’importe qui.


Jeremy Sibony