mercredi 24 octobre 2012

Amour

Réalisé par Michael Haneke – Avec Emmanuelle Riva, Jean-Louis Trintignant, Isabelle Huppert – France – 2h07

Dans un bus, un couple de vieux que l’on remarque à peine, rentrant d’un concert… Scène de la vie conjugale d’une triste banalité. En fait le dernier moment d’un bonheur qui s’ignore. La banalité avant le désastre, avant que deux vies basculent après l’attaque cérébrale de la vieille dame qui aura lieu le lendemain. Son issue, nous la connaissons dès la première scène : la police forçant un appartement, le corps d’une vieille dame morte sur son lit… Seule…

Disons-le simplement : oui ‘Amour’ est avant tout un film… d’amour. Ce qui n’allait pas de soi quand on connaît l’œuvre de Michael Haneke, son regard d’entomologiste sur un monde de cruauté, sa noirceur. Mais il fallait peut-être la distance qu’il sait mettre entre lui et son sujet pour éviter que son propos soit parasité par le sentimentalisme ou le misérabilisme. « Amour » est ainsi d’une grande sensibilité sans jamais sombrer dans la sensiblerie, il est aussi d’une impitoyable dureté.
Il fallait aussi le talent de deux acteurs qui imposent l’évidence de leur couple et de leur amour avant de s’enfoncer dans un véritable cauchemar. Ce sont eux et le regard que leur porte le réalisateur qui font d’ « Amour » un film un peu différent du reste de sa filmographie.
 Emmanuelle Riva, splendide de dignité dans la maladie et Jean-Louis Trintignant, acteur époustouflant dont chaque mot, intonation, geste est emprunt d’une palette de nuances qui nous bouleverse.
 Ce sont souvent des gros plans sur leur visage, notamment du regard à la fois doux et douloureux de Trintignant, que naît une émotion qui ne lâche pas le spectateur, chaque scène devenant une étape supplémentaire dans la déchéance en même temps qu’une preuve de la force des sentiments qui subsistent malgré tout.
Comme rarement, la réussite du film née de l’osmose entre le regard de l’acteur et celui du cinéast.
 C’est un véritable numéro d’équilibriste, la crudité de certaines scènes est acceptable car la réalisation reste d’une grande pudeur quand à l’expression des sentiments. Le réalisme est contaminé de séquences oniriques.
 L’expression d’un cinéaste au sommet de son art qui épure encore son style pour que chaque scène frappe immédiatement le spectateur.
Mouvement de caméra, dialogue, décor : il n’y a rien en trop, rien qui n’ait sa place et sa force.
La minutie Balzacienne avec  le cinéaste a reconstitué cet appartement bourgeois, dit beaucoup de l’histoire de ce couple et  marque le contraste entre le passé et un quotidien devenu insupportable.
 Le récit se construit aussi autour de la parfaite maîtrise des plans séquences où Haneke sait ne rien nous épargner tout en préservant la dignité de ses deux personnages et d’ellipses audacieuses. Imperceptiblement, nous nous sentons étouffer avec eux, alors que le mari décide de se couper du monde, de sa fille notamment. Comme un soldat en permission se sent exclu de ceux qui continuent à vivre sans savoir ce que c’est que de vivre au front.
La menace vient de l’extérieur, de la logique qui voudrait que lui renonce à la promesse qu’il lui à faite: « ne pas la renvoyer à l’hôpital. » Leur condition de bourgeois leur permet de pouvoir tenir leur promesse, mais ce pacte ultime entre un homme et une femme les condamne à en payer le prix : assister l’implacable (et pas simplement assister à) délitement du corps humain qu’enregistrent les plans fixes du film.

« Rien de tout cela ne mérite d’être montré » répliquait l’homme à sa fille venue aux nouvelles. En contredisant immédiatement cette réplique par les séquences suivantes, Haneke nous fait définitivement franchir le seuil d’une intimité. Le véritable amour, c’est ainsi essuyer la pisse de la femme que l’on aime, l’aider à se rhabiller dans les toilettes.
L’amour c’est enfin le refus d’assister à la lente et insupportable agonie de l’autre. C’est là qu’éclate encore l’intelligence d’un réalisateur qui refuse de basculer dans le film à thèse : juste le récit d’un amour qui va jusqu’au bout de sa logique.

 « Amour » s’ouvrait sur sa fin : le cadavre d’une vieille femme étendue sur son lit ; où était l’homme ? A cette question du début Haneke répond par un mystère qui laissera le spectateur face à ses interrogations. Une fois encore, Haneke ne donne pas de réponses, il n’impose rien. Nous voilà ainsi seuls devant le magistral passage de la réalité la plus crue à un univers onirique. Pourquoi ne pas y voir l’idée un étrange et angoissant happy end ? L’art comme refuge dérisoire et éphémère face à l’horrible banalité.

Jeremy Sibony

vendredi 5 octobre 2012

Reality

Réalisé par Matteo Garrone – Avec Aniello Arena, Loredana Simioli, Nando Paone, Nello Iorio, Raffaele Ferrante, Giuseppina Cervizzi – Italie – 1H55

Cinecitta, envahi par la téléréalité. Un casting géant organisé pour « Il grande fratello », version italienne de Big Brother, des files de candidats, un studio improvisé sur les pelouses de ce qui fut pour beaucoup le nombril du cinéma. Derrière, presque caché par la machine télévisuelle : un vestige, l’immense tête d’une statue du Casanova de Fellini : ruine de Rome.

 Gomorra, le précédent film de Matteo Garrone  s’inscrivait déjà, aù-delà du polar,  dans une tradition du cinéma réaliste italien, ce « Reality » sera plus qu’une énième critique de la télé réalité.
 Le lien avec la comédie italienne est là, paradoxal pour un film où l’on assiste à la chute d’un homme ordinaire. Mais, depuis la fin des années 70, on sait que la comédie italienne fait rire jaune ou même ne fait plus rire du tout. Garrone semble reprendre là où le « Affreux sale et Méchant » d’Ettore Scola avait laissé la comédie italienne, au crépuscule de son âge d’or, quand, rattrapée par la fin du « miracle italien », elle se faisait plus désespérée que jamais. « Reality » s’ouvre sur la peinture volontairement outrancière d’un personnage singulier, presque une figure Fellinienne.

Luciano est un Napolitain exubérant et charismatique. Poissonnier, arrondissant ses fins de mois difficiles grâce à de petites magouilles dont profitent aussi les plus pauvres de son quartier. Cela aurait pu être Alberto Sordi ou Nino Manfredi, interprétant un brave homme vivant pour sa famille, un peu bravache, un peu escroc, mais que tout le monde apprécie. Pour faire plaisir à sa famille et flatter son ego de cabotin, il tente un casting pour entrer dans le loft local : une de ces émissions de télé réalité absurde où l’on observe des gens vivre comme dans un zoo. Les nouvelles idoles sont là : les vainqueurs de ces jeux télévisés, qui vivent une brève mais intense heure de gloire. Instrumentalisés par la production mais adulés par le public, Luciano veut en être. Pour l’argent, pour ce qui ressemble à de la gloire, pour l’ego. Pour sortir d’un quotidien anonyme où il faut gagner de plus en plus difficilement sa vie quand d’autres règlent leurs problèmes financiers en une émission télé.
 Matteo Garrone filme Luciano et sa famille avec le même respect et la même tendresse qu’un Ettore Scola. Pas une famille ideale, pas une vie parfaite, mais des gens essayant de s’en sortir comme ils le peuvent. Comme pour Gomorra il filme des êtres victimes d’un système qui les dépasse. Mais si l’on devine la mécanique infernale qui transforme des hommes en bêtes de foire, La grande intelligence du film est de maintenir presque hors champ la télé réalité pour se consacrer aux « candidats » à ce cirque. L’obsession de Luciano n’est pas directement le fait des producteurs de l’émission. L’espoir qui le dévore n’est pas due à une promesse non tenue : Luciano se fait son film tout seul, le terrain a été préparé par une société tout entière : la télévision et le star système, mais aussi le regard des proches qui changent quand se profile juste la possibilité de passer à la télé. Etre de l’autre coté de l’écran, c’est changer de caste, changer de vie. Ne pas être sélectionné, c’est échouer aux yeux du monde.
 A l’opposé d’un Ginger Fred où Fellini nous faisait vivre la naissance de cette télé poubelle de l’intérieur, le cinéaste reste du côté du public. Et voici l’éternel miracle du cinéma italien qui sait caricaturer les gens pour mieux approcher leur vérité.
En expliquant les raisons de son palmarès controversé au festival de Cannes, le président du Jury Nanni Moretti expliquait l’absence de quelques  favoris de la critique par le manque d’intérêt que portait certains metteur en scène à leur personnage. Le grand prix du jury qu’il décerna à « Reality » se justifie ainsi totalement.
Ainsi "Reality" vaut autant pour ce qu'il montre de l'état d'alienation d'une société que pour ce qu'il ne montre pas. Matteo Garrone nous épargne les passages obligés des films sur la télé-réalité: les plans sur les coulisses où les producteurs se frottent les mains, les travellings sur les moniteurs à l'interieur d'une régie où un réalisateur ordonne un gros plan sur une larme. Tout cela appartient à la télé, le cinéaste reste sur ses terres: refuse le spectaculaire au profit de ses personnages.
On aurait pu trouver agaçants les clichés de la famille napolitaine dépeinte par Garrone, mais en restant de leur côté, jusqu’au bout, le film évacue toute moquerie facile, le cinéaste ne se place jamais au-dessus de ses personnages, il ne les juge pas. La mise en scène de « Reality » restitue leur dignité aux êtres que la télé réalité jette en pâture à leurs semblables pour qu’ils s’en moquent. La caricature, l’exubérance se met au service du respect et de la dignité. Les « masques » expriment la vérité des êtres. Quand la volonté de Luciano d’entrer dans ce loft tourne à l’obsession, le cinéaste n’en rit pas, la comédie s’efface au profit d’une petite tragédie ordinaire. Aniello Arena, stupéfiant Luciano, qui charmait le spectateur par son naturel le fait petit à petit entrer dans sa folie, dans son cauchemar : son sourire se fige, il perd pied…
D’abord filmé au beau milieu de sa famille, souvent submergé par les enfants, cousins, parents, Luciano se sépare d’eux, cadré seul, isolé. La mise en scène de Garrone bascule naturellement, en un panoramique qui refuse de se finir quand la famille regarde la première d’Il Grande Fratello, et que le mouvement de caméra se poursuit, le suspens est entier: nous espérons le contre champs qui nous soulagerait, montrant notre héros dans la télé, mais il se poursuit, impitoyablement, nous laissant découvrir Luciano, isolé lui aussi devant la télé : simple spectateur.
 Cet effet de mise en scène relativement discret fait basculer le film… Luciano sombre définitivement dans la paranoïa, croit être suivi par des « espions » envoyés par la télé et attend le coup de fil de la production qui le « libérerait » en entrant dans le loft.
La « comédie » Italienne avait déjà été aussi sombre, aussi noire, mais rarement emprunte d’une aussi profonde tristesse.

Lorsque, au terme d’une dernière séquence nocturne surréaliste où il semble devenir invisible, nous le perdrons aussi de vue, Luciano ne sera plus qu’une silhouette, une ombre. Le lent travelling qui clôt le film nous laisse le temps de mesurer sa chute. Le temps est un luxe que le cinéma peut encore se permettre, de la même façon que, dans un monde où une image chasse l’autre, le rire de Luciano hantera longtemps le spectateur. Le cinéma, aura réussi à nous rapprocher d’une de ses silhouettes désincarnés que nous apercevons à peine devant nos télé. Matteo Garrone s’inscrit ainsi dans la continuité des grands cinéastes italiens et non, Cinecitta n’est pas encore tombé.

Jérémy Sibony

mercredi 3 octobre 2012

Después de Lucia

Réalisé par Michel Franco – Avec Tessa Ia, Hernàn Mendoza, Gonzalo Vega Sisto, Tamara Yazbek Bernal, Francisco Rueda, Paloma Cervantes – 1h 43 – Mexique.


Le premier plan intrigue : l’homme qui vient de récupérer sa voiture dans un garage roule quelques instants, s’arrête et abandonne sa voiture. « Después de Lucia » Débute comme un film sur le deuil : un père et sa fille, seuls depuis la mort de Lucia. Les plans séquences et le rythme des premières séquences se justifient totalement, nul snobisme : le deuil se fait dans le vide que laisse la femme et mère. Les plans se construisent autour de cette absence. Mais si le père se morfond dans le silence et la solitude, la fille, Anjelica, est décidée à vivre, cache son deuil et essaye de vivre la vie normale d’une jeune fille de son âge. C’est d’elle que vient la lumière du film, d’une actrice surtout, la jeune Tessa Ia qui fait ici d’impressionnants débuts. Le film semble prendre des rails assez classiques : le père et la fille prenant chacun une route différente : lui peinant à garder son nouveau travail alors qu’elle s’intègre bien dans son nouveau lycée. Dans un film classique, nous attendrions que les routes se rejoignent ou se séparent définitivement… Nous ne sommes pas dans un film classique.

Avec le même effet de surprise que lorsque son héros quittait brusquement sa voiture, le récit prend un autre chemin, bien moins confortable. Le réalisateur, Michel Franco, s’est bien gardé de montrer dans cette première partie les signes du désastre à venir, cela rendra les séquences qui suivront autrement plus réalistes. Car la tragédie qui se dessine soudainement ne vient pas du deuil, mais du retour à une vie normale. La monstruosité se niche dans le quotidien, dans la normalité. Pour s’être laissée filmer pendant qu’elle faisait l’amour avec le bellâtre de la bande, Anjelica devient la cible impuissante de ses « amis », la bande de jeunes devient une meute, la gentille jeune fille qui illuminait la première partie du film et semblait être la seule lueur dans la dépression du père va s’éteindre petit à petit. Le deuil est évacué, mais au profit du récit presque insoutenable des tortures mentales et physiques que va subir la jeune fille de la part de ses « amies ». La cruauté de la meute est sans fin.
Aux humiliations succèdent les sévices, tandis que le lien qui subsistait entre Anjelica et son père se rompt sans que ce dernier s’en aperçoive. La mise en scène de Michel Franco ne nous épargne rien : la caméra enferme sa jeune actrice dans un cadre presque fixe, aucune échappatoire, aucun plan pour rendre cette violence esthétique. Aucune complaisance non plus : nous ne sommes ni chez Larry Clark, ni chez Oliver Stone.
Nulle provocation facile dans cette mise en scène de l’insoutenable.
Les adultes ? Ils sont morts ou absents (absents de l’écran ou lorsqu'ils sont présents à l’écran, totalement inertes.) La logique de bande est une logique de meute. Le cinéaste sait qu’on trouverait facilement plus de bêtise que de haine dans les premières brimades. Mais la frontière est vite franchie, sans autre repère que celui du groupe, la bêtise laisse place à la monstruosité , disons le à une certaine forme de fascisme. « Después de Lucia » est aussi une vision du totalitarisme sans que  le film cède à la démonstration.

La caméra reste à bonne distance, tandis que les séquences de tortures physiques et mentales se succèdent jusqu’à l’écoeurement. Plus d’une fois on peut penser que le cinéaste va trop loin, que la mécanique cache mal une noirceur affectée. Nous pouvons aussi nous sentir manipulés par ce récit glaçant.
On espère une explication à cette violence gratuite, quelque chose qui expliquerait qu’une bande d’ados se mue en monstres.
 Mais rien…
Alors que la sécheresse de la mise en scène, sa précision rend le propos parfaitement plausible. La résignation de la jeune fille subissant humiliations et tortures nous renvoie à notre propre impuissance et le spectateur de gauche lecteur de Télérama, de libé ou du Monde sent monter en lui un désir de vengeance relativement malsain.
La civilisation ? Quelle civilisation ?
 Celle du téléphone portable, qui loin d’aider à communiquer scelle l’incommunicabilité des êtres avant de devenir l’instrument par quoi le drame arrive. Ce n’est pas bien sûr la technologie qui est en cause, mais les hommes qui se planquent derrière.
Car voici l’Emile de Rousseau revisité : l’homme, livré à lui-même, abandonné par les siens, retourne à l’état sauvage. Il dévore les plus faibles.
Anjelica s’efface sous nos yeux jusqu’à ne devenir qu’une ellipse, un blanc, alors que le chapitre final du film se clôturera dans un acte à la fois immoral et vengeur qui nous laisse face à notre propre désir de vengeance.

Nous serons horrifiés mais aussi un peu soulagés : une victime expiatoire, c’est ce que nous nous surprenions peut-être à demander. Il est même possible que notre réaction nous effraie nous-même. Cette conclusion ambiguë ouvre un gouffre… Pas de réponses, pas de morale… Rien.
 Rien d’autre qu’un homme et l’acte qu’il vient de commettre…: pas de messages, pas de psychologies faciles.. Et nous face à lui. Cet autre moi-même. Ce que Bruno Dumont nommait « L’humanité. »

Jeremy Sibony

mercredi 26 septembre 2012

Vous n'avez encore rien vu

Réalisé par Alain Resnais (real de la captation : Bruno Podalydes) – Avec Sabine Azema, Anne Consigny, Denis Podalydes, Pierre Arditi, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot, Andrzej Seweryn, Lambert Wilson, Annie Duperey, Michel Piccoli, Jean-Noël Brouté, Michel Vuillermoz, Michel Robin – 1h55 – France


« Vous n’avez encore rien vu »?
Pour ceux qui suivent de près comme de loin le travail d’Alain Resnais, il semble que si l’on a rien vu, tout était déjà dit.
On peut d’abord s’amuser de l’ouverture rappelant « 6 personnages en quête d’auteur » de Pirandello, avant de se rendre compte que ce que l’on pensait être de la malice se trouvera vite être un gadget, censé confondre les spectateurs mais qui flirte dangereusement avec l’auto citation, pire pour ceux qui ont toujours aimé chez ce cinéaste l’inventivité et l’audace, une certaine paresse.
Les plus prestigieux comédiens (souvent également les plus prestigieux cadres de la LCL) sont ainsi invités à faire passer les indigestes tartines du Eurydice et du plus méconnu « Cher Antoine » d’Anouilh qui se trouve au cœur du film.
 On peut penser que faire jouer au théâtre ce soir du Jean Anouilh, n’est pas le comble de la modernité ni de l’audace, mais comme on aime Resnais, on attend d’être surpris… Raté.

 Un metteur en scène mort, ses comédiens sont convoqués dans sa luxueuse maison pour prendre connaissance du testament artistique du défunt : Ils devront regarder la captation d’une énième version des pièces d’Anouilh par une jeune compagnie théâtrale, alors même que chacun des prestigieux invités furent les acteurs de cette pièce au cours des nombreuses adaptations. Rapidement les comédiens assistant au film font écho à l’interprétation de la jeune compagnie…
On se doute que ce ne sont pas les deux pièces qui justifiaient ce film pour Alain Resnais, mais surtout le fait de mêler ce qu’Anouilh peut faire raisonner en lui : les fantômes convoquant les vivants, le passé envahissant la vie. Comme Resnais fut un « moderne », à côté (plutôt qu’au côté) des réalisateurs de La Nouvelle Vague, Anouilh fut avec Gide ou Giraudoux au théâtre et évidemment avec les écrivains du nouveau roman avec qui il collabora. Hélas, plus aucune modernité, dans ce « Vous n’avez encore rien vu. » C’est même une torture que de voir de si brillants acteurs (Pierre Arditi, Anne Consigny, Sabine Azema, Hippolyte Girardot…) afficher des airs compassés et rendre encore plus pesants les dialogues sur la vie, l’amour, la mort etc etc…
Le processus visant à faire répéter les mêmes bribes du texte, à la file, aux différents acteurs, fait penser à la captation d’un long cours de théâtre. Pire : la mise en parallèle avec certains comédiens aussi justes et inventifs que Mathieu Amalric ou Hippolyte Girardot est cruelle pour les jeunes comédiens de la compagnie de la colombe. Demander à Bruno Podalydes de filmer cette jeune troupe ressemble à une fausse bonne idée. Même s’il ne s’agit pas de juger leur interprétation ou la mise en scène, c’est tout simplement hors sujet, le film dans le film coupe le rythme et rend l’œuvre interminable.
La mise en abyme devient un procédé grossier, destiné à masquer la lourdeur du propos. On devine les comédiens face à leur passé, face à l’absence du metteur en scène. On croit voir le futur fantôme du réalisateur se retourner sur son travail, son rapport aux comédiens. On entend même un « vrai » fantôme : la voix d’André Dussolier, habitué d’Alain Resnais, absent de la distribution. Une esthétique tape à l'oeil qui tente le passage en force, c'est tout ce que l'on ressent devant les effets de mise en scène dans un décor entièrement numérisé.
Resnais voulait s’affranchir du diktat de la vraisemblance, utiliser les possibilités du numérique pour jouer sur le réalisme. Idée louable : l’aspect artificiel du numérique aurait pu contribuer à inventer ce monde, entre réalité et fantasme. Une fois de plus, à chaque plan apparaît le manque de finesse, la volonté d’en mettre plein la vue et de rendre le moindre robinet de lavabo d’une infinie poésie. Les modifications des décors numérisés, les fautes de raccords volontaires, les petits clins d’œil (une affiche d’un film de Resnais par exemple), la disparition et la réapparition d’éléments : tout ceci devient si voyant qu’il parasite l’ensemble. A Chaque plan nous sommes censés nous exclamer sur La « liberté » de l’artiste qui n’est qu’une béquille sur laquelle s’appuie un réalisateur qui semble ne pas savoir comment aborder son véritable sujet : son dialogue avec des fantômes. L’inventivité formelle laisse place ici à l’instauration d’une fausse complicité entre spectateur et réalisateur : il peut tout se permettre, nous applaudirons à chaque fois.
Désolé, mais malgré tous nos efforts, malgré l’admiration que nous gardons pour ce grand metteur en scène et pour ces comédiens: nous sommes juste devant une pièce de théâtre, rien de plus qu’un texte que nous aurions espéré moins sentencieux et transcendé par la mise en scène. « Vous n’avez encore rien vu » ploie sous une poésie factice qui devient une machinerie prévisible et au mécanisme trop voyant.

 Alain Resnais ressemble à son Antoine, il se moque de nous juste pour savoir si nous l’aimons toujours, jusqu’où sommes-nous prêts à le suivre aveuglément.
Certains peuvent vouloir entrer « dans la forêt » avec lui, mais nous pouvons plus sûrement rester à l’orée, laisser l’artiste manipulateur s’enfoncer tout seul.
Il est réconfortant d’imaginer que la fin du film laisse penser que Resnais ne souhaitait pas qu’on s’y enfonce avec lui et qu’il puisse comprendre que l’on apprécie pas sa mauvaise blague.
 La seule bonne nouvelle, c’est qu’effectivement nous n’avons rien vu et que le beau film d’un fantôme convoquant les fantômes de son passé reste à faire pour Alain Resnais.

Jeremy Sibony

mercredi 30 mai 2012

Prometheus

Réalisé par Ridley Scott – Avec Noomi Rapace, Michael Fassbender, Charlize Theron, Idris Elba, Guy Pearce, Logan Marshall-Green – Etats-Unis – 2h03

Après la suite, après le prequel, voilà le faux prequel…
A une époque où les grosses productions consistent souvent à adapter paresseusement des BD, des séries télés puis à les décliner en d’interminables suites et « prequel », il faut au moins reconnaître à Ridley Scott une certaine audace.
Il eût été si simple de donner au public ce qu’il attendait : un prologue au premier Alien qui lui permettrait de réutiliser les vieilles recettes éprouvées.
Prometheus a une véritable ambition, celle de créer une nouvelle légende du cinéma de science fiction, digne du réalisateur d’Alien et de Blade Runner qui contribua à faire du cinéma de genre un cinéma d’auteur à part entière.

Prometheus n’assume son statut de prologue, qu’à la toute fin du film, pour l’essentiel, il s’agit d’élucider un mystère : l’identité du « space Jockey », ce géant que l’équipage du premier Alien retrouvait fossilisé et éventré.
Question essentielle pour Ridley Scott mais annexe pour le spectateur…
Le résultat final est assez décevant, on peut douter que l’aventure Prometheus accède également au rang de mythe de la science fiction.
Au-delà d’une réussite visuelle indéniable, le film est assez banal. Une équipe d’humains sur une planète hostile, une énigme qui se transforme en angoisse et le jeu de massacre qui commence.
C’est du vu et revu et pas seulement chez Scott lui-même.
L’audace dont le réalisateur a su faire preuve pour accoucher d’un projet inédit et non d’une énième déclinaison d’une franchise lui manque quand il faut donner à cette œuvre un soupçon d’originalité.
Dans ses meilleures séquences, le film est l’esquisse de ce qu’il aurait dû être : l’humanoïde veillant seul pendant des années sur le sommeil des humains, sa passion pour Lawrence d’Arabie de David Lean, la vision des extraterrestres « créateurs » devenus des dieux destructeurs sans compassion ni intérêt pour l’humanité.
Un zeste de pessimisme dans un genre devenant de plus en plus consensuel, une belle idée.
C’est la grande idée mal exploitée du film : les humains veulent comprendre, approcher l’éternité. Les extra terrestres sont d’insensibles dieux sanguinaires : l’anti-avatar.
Hélas, si Scott est moins niais que Cameron, il est aussi plus sage.
A l’exception des personnages interprétés par Noomi Rapace et Michael Fassbender, les autres ont bien du mal à exister. Charlize Théron a l’air de se demander ce qu’elle fait là.
L’intérêt réside vite dans les petits détails qui rappellent Alien : lumière sombre, les radars « pac man » où les êtres vivants sont signifiés par des points sur un écran (là encore une bonne idée peu exploitée, le curseur qui ne bouge pas, à l’inverse de celui mouvant du premier Alien).
Noomi Rapace devenant une Sigourney Weaver avant l’heure, on attend juste que le prequel s’assume comme tel, un comble !
Du film en lui-même on s’est vite désintéressé.
Forcément, il y a une maîtrise formelle assez impressionnante, la marque de Ridley Scott.
Mais le scénario si faible, si convenu ronge le film de l’intérieur…
A vouloir brasser trop de choses : la création de l’homme, les origines d’un mythe, un suspens sanglant, Scott semble esquisser son film.
Comme s’il avait oublié que c’est la simplicité du récit qui avait fait la force du premier Alien.
Comme s’il avait oublié les règles du cinéma de genre, tellement obnubilé par l’idée de réaliser un grand film.
Le résultat final ne rivalise pas avec Alien et certainement pas avec Solaris de Tarkovski.
Et de cette nouvelle saga qui s’annonce, ne subsiste pour le moment que les prémisses du chef d’œuvre de 1979.

Ironiquement Prometheus raconte bien l’histoire cruelle d’un créateur victime de sa création…

Jeremy Sibony

Les femmes du bus 678

Réalisé par Mohamed Diab – avec Nahed el-Sebai, Boushra , Nelly Karim, Omar el-Saeed, Basem el-Samra, Maged El Kedwany – Egypte- 1h40


« Un grand sujet ne fait pas un grand film », d’accord, mais ça ne nuit pas non plus et, dans le cas des « Femmes du bus 678 » ça peut contribuer à en faire un bon film, voir un film nécessaire, à projeter dans nos écoles.

Il faut d’abord se réjouir qu’un tel film ait pu voir le jour, surtout réalisé par un homme, ce qui est une bonne nouvelle pour la condition de la femme en Égypte (et pas seulement) peu importe pourrait-on même ajouter si cinématographiquement le film n’est pas tout à fait abouti, le principal est que cette histoire soit racontée.
L’histoire, c’est celle de trois femmes subissant le harcèlement ou même les violences sexuelles des hommes et du silence dans lequel on les mure.
Rappelons qu’en Égypte, il aura fallu attendre 2008 pour que soit condamné le premier coupable d’agression sexuelle.
Comme dans toutes les sociétés de frustrés planqués derrière la religion et les coutumes, la femme doit se taire, nier sa féminité et demander pardon de soumettre les hommes à la tentation.
Les trois héroïnes du film, appartenant à trois milieux socialement différents, subissent l’une les attouchements des hommes dans un bus, l’autre une agression sexuelle en pleine rue, la troisième enfin un quasi-viole collectif à la sortie d’un match.
Dans les trois cas, les femmes sont condamnées au silence et à la honte.
Chacune va essayer de se révolter : l’une s’opposant à sa famille pour porter plainte, l’autre, donner des cours d’autodéfense, la dernière enfin, la plus désespérée car victime de la loi des hommes et de celle de la religion, se vengera en poignardant les males libidineux à coup d’épingles là où ça fait vraiment très mal.
Elle devient l’héroïne anonyme de millions de femmes victimes de violences ou harcélement sexuels.
Dans ce monde ubuesque où on ne porte pas plainte après une agression contre une femme, la police est priée de trouver la criminelle qui fait planer une menace sur une société d’obsédés.
Dommage que le film semble conçu pour un dossier de l’écran local. Mohamed Diab ne filme pas des personnages mais des stéréotypes, une bourgeoise, une jeune, une femme vivant dans la tradition, cela lui permettant de donner l’aspect le plus général possible à sa démonstration.
Certaines situations semblent mêmes totalement artificielles, tout particulièrement l’enquête policière et le personnage même du commissaire : d’abord insensible puis découvrant à ses dépends la réalité de la condition féminine.

Les autres personnages masculins, tous plus veules et lâches les uns que les autres ne sont guère plus fouillés. Triste panel d’une société phallocrate et moyenâgeuse.
Si la dénonciation est salutaire, si on se sent tour à tour impuissant, en colère et solidaire de ses femmes, il aurait fallu plus de finesses pour répondre à des questions que le réalisateur/scénariste ne fait que poser, notamment pour savoir comment une société dans laquelle les femmes pouvaient se promener habiller comme elle l’entendait, au moins dans les grandes villes, a-t-elle pu se muer en une société de frustrés qui asservissent les femmes au nom d’un code d’honneur imbécile et de pratique d’un autre temps.
La force du propos réussit à transcender un récit qui louche maladroitement du coté des scénarii de Guillermo Arriagas et des films de Gonzalez Inarritu. Dans les mains incertaines du cinéaste égyptien, le système tourne court, on a peine à croire à la rencontre de ces trois femmes…
Il aurait aussi fallu autre chose qu’une mise en scène purement illustrative pour faire un grand film avec un grand sujet, ce qui aurait eu pour vertu première de donner plus d’impact encore au message du film.
Pourtant, on reste suspendu au récit, « Les femmes du bus 678 » faisant ainsi la jolie démonstration que le cinéma peut s’incliner devant une cause quand celle-ci est filmée avec sincérité à défaut d’audace formelle.
Espérons que ce film trouvera un écho dans son pays d’origine évidemment, mais aussi partout ailleurs et notamment en France.
Une fois de plus, la projection des « Femmes du bus 678 » dans les lycées et collèges serait salutaire.
Une société qui laisse les femmes percevoir un salaire moindre que les hommes pour un poste similaire ne peut pas s’estimer suffisamment civilisée pour regarder la société égyptienne de trop haut.
Enfin, le printemps arabe ayant accouché en Égypte d’un renforcement des partis intégristes, on peut douter que les femmes soient sorties d’affaire : le courageux film de Mohammed Diab est plus que jamais d’actualité.
Le cinéma ne change rien à la vie, on le sait bien, mais il est au moins un motif d’espoir quand d’authentiques chefs d’œuvres paraissent à coté d’une totale vacuité.

Jeremy Sibony

vendredi 25 mai 2012

Cosmopolis

Réalisé par David Cronenberg – Avec Robert Pattinson, Paul Giamatti, Sarah Gadon, Kevin Durand, Samantha Morton, Juliette Binoche, Matthieu Amalric – Canada- 1h50

«Un spectre hante le monde. Le spectre du capitalisme ».
Marx détourné, Dieu mort, le monde est dirigé par des spectres comme Eric Packer : jeune multimilliardaire, héraut de la spéculation, héros du roman de Don de Lillo « Cosmopolis » adapté par David Cronenberg.
Disons plutôt que le cinéaste canadien s’est réapproprié le livre pour accoucher d’un monstre, à la fois somme des thèmes habituels du cinéma de Cronenberg mais aussi vision apocalyptique d’un monde qui s’effondre, sans qu’on puisse dire si c’est une si mauvaise nouvelle…

Eric Packer veut une coupe de cheveux, il n’en a visiblement pas besoin et traverser New York en ébullition est une mauvaise idée, mais il veut sa coupe de cheveux …
Commence alors un quasi huis-clos dans sa gigantesque limousine.
Huis-clos ? C’est pourtant tout un univers que filme David Cronenberg. Le monde d’Eric Packer se réduit à l’intérieur de cette immense voiture aux vitres fumées et totalement insonorisée, mais à l’intérieure le sort de millions de gens se discute de façon honteusement abstraite. Toute la vie de Packer se retrouve en une unité de temps et une unité de lieu : amour, sexe, visite médicale.
Sourd et aveugle au monde qu’il contribue à détruire, le spectre vit littéralement dans sa bulle, convoquant ceux dont il a besoin qui l’attendent aux coins des rues, pendant que son empire sombre et que le chaos règne à l’extérieur.
Ce pari insensé de raconter la chute d’un homme dans sa voiture, Cronenberg le relève avec une inventivité d’autant plus admirable qu’il ne tourne pas à l’exercice de style.
Changement de focales, de cadre, multipliant les points de vues sans se répéter et surtout sans que le tour de force technique ne nous déconnecte du drame qui se joue. Puisque la limousine est un monde, alors la mise en scène ne doit pas enfermer ce monde en quelques plans.
L’autre pari insensé et relevé de l’adaptation du roman, c’est d’avoir libéré la parole au point d’en faire un personnage du film. La parole, ou plutôt son déferlement, son débit (dans le sens du débit d’un fleuve), devient une excroissance organique.
Le contraste avec l’absence presque totale de son extérieur crée un univers inquiétant : comme si les vitres n’étaient qu’un téléviseur diffusant les images d’un monde virtuel, alors même que nous sommes dans le véritable univers virtuel.
Comme les héros d’ « Existenz », les héros évoluent dans un monde parallèle sans en avoir conscience. La parole est leur seul lien à l’autre, seule échange : on parle de fric, de devises, de marchand d’art, de théories sur l’argent et le gain, alors que chaque propos semble contredire ou au moins éclairer sous un angle nouveau par ce que nous percevons du monde extérieur.
Le scénario a tenu à conserver les dialogues prémonitoires de Don de Lillo : jusqu’à ce que se dégage un monde chaotique, sonore comme visuel : du hors champs et de ce que nous parvenons à distinguer des vitres, nous devinons et apercevons des hommes en rage, une foule au bord de l’insurrection. Protégé du monde, à peine secoué par les manifestants, Packer parle, écoute : les dialogues rongent le film…
Mais la parole ne résout rien, elle fait partie de ce monde virtuel dans lequel évolue Packer.
La masse, elle, évolue dans un monde de plus en plus matérialiste.
La marque des puissants est de vivre dans le virtuel : leur système financier, leur univers tout entier, même un simple mariage : tout est virtuel...
Mais on sait que chez Cronenberg, on paye dans la réalité la confusion avec le virtuel.
Les premières victimes sont les gens ordinaires.
Mais, sans que le réalisateur n’ait le mauvais goût d’en faire une victime, Eric Packer lui-même ne supporte plus cette existence morne, cloîtré dans la prison en cuir, à la recherche de sensation.
Il a besoin d’une coupe de cheveux… Cet étrange caprice qui constitue au début une preuve de son aliénation devient la dernière bribe, inconsciente d’humanité.
La coupe de cheveux, mais pas n’importe où, dans un endroit où il fut libre autrefois.

Tout se passe comme si ce fantôme qui traverse New York sourd au désastre qui l’entoure voulait revenir chez les vivants, chez les mortels.
Incapable de ressentir quoi que ce soit d’autre qu’une fouille rectale, insensible à sa ruine, à la douleur des autres, sans affect ni humour.
Comment s’étonner alors que Cronenberg ait choisi Robert Pattinson, le héros de Twilight, pour jouer un personnage plus proche de Nosferatu que le vampire de la franchise pour ado.
Pattinson est parfait : golden boy désincarné, à la fois symbole d’un capitalisme triomphal et roi nu.
Le film oscille ainsi entre le silence du royaume de Packer et le fracas du monde réel où il fait de rares incursions.
Elles donnent une respiration au film et à l’exception d’une séquence ratée dans une chambre d’hôtel redondante et inutile, les scènes ne rompent pas le rythme du film, elles sont autant d’étapes soulignant l’isolement et la chute du héros.
Lorsque enfin la ballade cesse, le silence de la voiture semble avoir gagné le monde extérieur, ne reste plus à Eric Packer qu’à se confronter à sa Némésis.
La scène fera débat : un affrontement verbal avec un perdant, un paumé victime du golden boy, plus de 20 minutes de dialogue. Le point culminant d’un film incroyablement bavard et pourtant physique. Car la confrontation est surtout physique : celle de Paul Pattinson contre celle de Paul Giamatti
Trop long ?
Trop long la rencontre de deux mondes qui se sont côtoyés pendant toute la durée du film et qui pour la première fois échangent ?
Trop long un face à face qui est devenu impossible hors d’une fiction ?
Le roman de Don de Lillo est prophétique, le film de Cronenberg est presque utopique : le monde s’écroule sans que les responsables ne sortent jamais de leur univers aseptisé.
Cosmopolis se clôt sur un suspens qui n’existe pas dans le livre. David Cronenberg ne cherche pas à finir sur une note d’espoir après un tel déferlement nihiliste : il nous laisse face à notre choix, à notre idée de ce que serait une fin morale dans un monde immoral.
La parole n’a aucun sens, les dialogues sont abscons, l’image ne fournit pas de réponse non plus : il n’y a que le chaos et ce qu’il en ressortira.
Au moins un grand film. C’est déjà ça.

Jérémy Sibony