mercredi 27 février 2008

There Will Be Blood

Réalisé par : Paul Thomas Anderson - Avec : Daniel Day-Lewis, Paul Dano, Dillon FreasierEtats-Unis, 2H38

Creuser la terre, creuser l'Amérique, tracer les contours d'un nouveau pays, où Dieu, ayant visiblement échoué, est viré, dégagé, pour que naisse un nouvel empire, celui des hommes, de la fortune, de l'argent, de la force.

Les premières minutes du film, sans paroles, sont les premières lueurs de l'aube d'une nouvelle ère ; le souffle, la douleur, le bruit de la pierre qu'on brise, du sol qu'on creuse, du pétrole qui jaillit, d'un pays qui naît du tréfonds de ce qui fut "le nouveau monde"."There will be blood", film monstre de Paul Thomas Anderson est, comme son héros, un film qui semble sortir de terre.
Paysages désolés, habitants fantômes, faux prophètes. Il n'y a déjà plus d'Amérique.Daniel Plainview va fonder son empire sur ces ruines : dans la sueur et le sang.Dieu terrible sorti de l'enfer pour fonder le nouveau rêve américain : monomaniaque, le gain, le pouvoir même plus que la fortune.

A l'énergie qu'il déploie correspond celle du film. La splendeur de la mise en scène, frappe, heurte le spectateur.On le sent dès le premier plan. Le désert sous fond de musique d'horreur : le lieu du crime, la beauté a un prix.Paul Thomas Anderson donne à chaque plan une intensité, une puissance, qui marque physiquement le spectateur : on ne sort indemne d'aucune scène. Le baptême de Plainview, les prières outrées du prédicateur, un puits de pétrole en feu comme une explosion de cette violence sourde qui est le fil conducteur du film.La beauté inquiétante de la photographie, les plans séquences qui semblent chercher le point de rupture, le jeu de Daniel Day Lewis, effrayant dans son jusqu'au boutisme, dans ses silences, alors qu'il est le centre névralgique du film, Daniel Day Lewis en fait un être opaque. Le cinéaste trouve dans son regard, dans sa silhouette, ce volcan dont le calme apparent est un grondement....

Un monde s'écroule, mais l'ouest est tout aussi sauvage. La parole laisse place au silence. Dieu, en tout cas ses prophètes si ambigus (Paul Dano véritablement flippant) n'ont qu'à s'incliner ; le capitalisme renversera tout sur son passage : Dieu, la famille, la communauté, les pionniers, le mensonge du nouveau monde.La violence de l'ouest américain y puisera un nouveau moyen d'expression. La folie et la rage trouveront leur accomplissement dans les grandes demeures des nouvelles dynasties. Mais, comme tout "héros de l'ouest", ambiguë et les mains tâchées, la solitude sera au bout de la route."There will be blood" est l'expression d'un esprit malade, dévastateur.Un film gigantesque, silencieux et hystérique.

Cette cohabitation de l'âpre et du lyrique donne une oeuvre magistrale, l'oeuvre d'un maître donc où Paul Thomas Anderson rejoint Kubrick, Mallick ou Ford. Stupéfait, le spectateur ne peut que contempler la noirceur et la solitude de l'âme humaine, en se demandant si la terre, le sable, les cailloux n'ont pas accouché d'un homme à leur image.Fascinant, impénétrable, impitoyable... De nouveaux conquérants, un nouveau monde, la sauvagerie...

Jérémy Sibony

mercredi 13 février 2008

Peur(s) du noir

Réalisé par : Blutch, Charles Burns, Marie CaillouAvec : Aure Atika, Arthur H., François CretonFrance, 1H25---------------------------

Film d'animation "Peur(s) du noir" est composé de six courts-métrages ayant pour thème la peur, et pour charte graphique l'utilisation d'une palette chromatique réduite au noir et blanc, avec une touche de gris pour donner un air de fête.Les courts métrages oscillent entre l'ennui et l'insupportable.

Aucun des films ne provoque un sentiment proche de la peur, aucune phobie n'est illustrée d'une façon suffisamment inventive ou originale pour que l'on y prête une véritable attention. Au mieux, ça ressemble à du sous Foerster, au pire on a le droit aux considérations bobos les plus stupides, à travers la voix de Nicole Garcia, tandis que défilent des formes psychédéliques : les propos de ce court métrage parsemés entre les différents films sont d'une bêtise insondable.Le parti pris esthétique de chacun de ces courts métrages semble avoir monopolisé les attentions des cinéastes qui patinent très vite dès qu'il s'agit du récit.
Passé l'intérêt que l'on portera ou non au graphisme, aucun scénario ne tient sur la longueur.On aurait aimé qu'un des courts fassent ressortir une de nos peurs d'enfants, une phobie ancienne, mais les cinéastes échouent tous à présenter autre chose qu'un étalage de leurs compétences graphiques, sûrement indéniables, mais qui excluent les non initiés.
Néanmoins l'emballement général de la critique sur ce film restant un mystère, les éventuels lecteurs de ces lignes qui auraient apprécié le film seraient sympas de venir éclairer notre lanterne.

Jérémy Sibony

mercredi 6 février 2008

Le Bannissement

Réalisé par : Andrei Zviaguintsev Avec : Konstantin Lavronenko, Maria BonnevieRussie, 2H30Titre Original : (Izgnanie)


Tarkovski, forcément..
Andreï Zviagintsev, attendu au tournant depuis son premier film Lion d'or à Venise (le Retour), ne cherche même pas à s'en défendre. Les premières images d'une voiture roulant dans une ville inconnue rappellent Solaris. Le film met donc 20 bonnes minutes à se défaire de l'ombre Tarkovskienne.
Enfin, on dit Tarkovski parce qu'on n'y connaît pas grand chose à cette fameuse "âme russe" : Dostoïevski bien sûr, Tolstoï aussi : les limites de la critique, si un russe a la bonne idée de lire ces lignes...Toujours est-il que c'est à l'arrivée dans leur retraite de campagne (Tchekhov ? Sauf que non, ça ne marche pas à tous les coups), que le film commence. Que fuit cette famille ? Pourquoi quitter la ville et aller chercher un travail ailleurs : on ne le saura jamais, et c'est très bien comme ça.
On pourrait penser à une planque en attendant la fin du monde (Le Sacrifice ? Tarkovski on vous a dit). Mais les signes sont là : la maison est au pied d'une très jolie colline, mais c'est raté pour le remake de "La petite maison dans la prairie", vu que la maison est aussi au bord d'un ravin que traverse un fragile pont de bois. C'est une des très bonnes idées : on approche du gouffre lorsque la femme annonce qu'elle est enceinte et que le mari n'est pas le père. Zviagintsev emballe alors son film : le calme apparent fait redouter le pire, comme la silhouette tout à la fois rassurante et menaçante du mari, interprété très physiquement par Konstantin Lavronenko (prix d'interprétation à Cannes, jeu très intérieur, ce qui rend d'autant plus touchantes et effrayantes ses réactions). Le film cesse vite de se reposer sur sa beauté formelle indéniable, mais qui aurait pu virer au BMC (beau mais chiant) si le récit ne se faisait pas plus intense.
La deuxième partie du film bouleverse. On oublie un peu Tarkovski au profit d'Andreï Zviagintsev et on sort du film ému, en se croyant incroyablement intelligent et incroyablement cinéphile pour ne pas s'être emmerdé et avoir été marqué par la dernière scène, lourde de symbole sûrement, mais surtout poignante, derniers instants de répit avant la catastrophe.

Jérémy Sibony