mercredi 30 mai 2012

Les femmes du bus 678

Réalisé par Mohamed Diab – avec Nahed el-Sebai, Boushra , Nelly Karim, Omar el-Saeed, Basem el-Samra, Maged El Kedwany – Egypte- 1h40


« Un grand sujet ne fait pas un grand film », d’accord, mais ça ne nuit pas non plus et, dans le cas des « Femmes du bus 678 » ça peut contribuer à en faire un bon film, voir un film nécessaire, à projeter dans nos écoles.

Il faut d’abord se réjouir qu’un tel film ait pu voir le jour, surtout réalisé par un homme, ce qui est une bonne nouvelle pour la condition de la femme en Égypte (et pas seulement) peu importe pourrait-on même ajouter si cinématographiquement le film n’est pas tout à fait abouti, le principal est que cette histoire soit racontée.
L’histoire, c’est celle de trois femmes subissant le harcèlement ou même les violences sexuelles des hommes et du silence dans lequel on les mure.
Rappelons qu’en Égypte, il aura fallu attendre 2008 pour que soit condamné le premier coupable d’agression sexuelle.
Comme dans toutes les sociétés de frustrés planqués derrière la religion et les coutumes, la femme doit se taire, nier sa féminité et demander pardon de soumettre les hommes à la tentation.
Les trois héroïnes du film, appartenant à trois milieux socialement différents, subissent l’une les attouchements des hommes dans un bus, l’autre une agression sexuelle en pleine rue, la troisième enfin un quasi-viole collectif à la sortie d’un match.
Dans les trois cas, les femmes sont condamnées au silence et à la honte.
Chacune va essayer de se révolter : l’une s’opposant à sa famille pour porter plainte, l’autre, donner des cours d’autodéfense, la dernière enfin, la plus désespérée car victime de la loi des hommes et de celle de la religion, se vengera en poignardant les males libidineux à coup d’épingles là où ça fait vraiment très mal.
Elle devient l’héroïne anonyme de millions de femmes victimes de violences ou harcélement sexuels.
Dans ce monde ubuesque où on ne porte pas plainte après une agression contre une femme, la police est priée de trouver la criminelle qui fait planer une menace sur une société d’obsédés.
Dommage que le film semble conçu pour un dossier de l’écran local. Mohamed Diab ne filme pas des personnages mais des stéréotypes, une bourgeoise, une jeune, une femme vivant dans la tradition, cela lui permettant de donner l’aspect le plus général possible à sa démonstration.
Certaines situations semblent mêmes totalement artificielles, tout particulièrement l’enquête policière et le personnage même du commissaire : d’abord insensible puis découvrant à ses dépends la réalité de la condition féminine.

Les autres personnages masculins, tous plus veules et lâches les uns que les autres ne sont guère plus fouillés. Triste panel d’une société phallocrate et moyenâgeuse.
Si la dénonciation est salutaire, si on se sent tour à tour impuissant, en colère et solidaire de ses femmes, il aurait fallu plus de finesses pour répondre à des questions que le réalisateur/scénariste ne fait que poser, notamment pour savoir comment une société dans laquelle les femmes pouvaient se promener habiller comme elle l’entendait, au moins dans les grandes villes, a-t-elle pu se muer en une société de frustrés qui asservissent les femmes au nom d’un code d’honneur imbécile et de pratique d’un autre temps.
La force du propos réussit à transcender un récit qui louche maladroitement du coté des scénarii de Guillermo Arriagas et des films de Gonzalez Inarritu. Dans les mains incertaines du cinéaste égyptien, le système tourne court, on a peine à croire à la rencontre de ces trois femmes…
Il aurait aussi fallu autre chose qu’une mise en scène purement illustrative pour faire un grand film avec un grand sujet, ce qui aurait eu pour vertu première de donner plus d’impact encore au message du film.
Pourtant, on reste suspendu au récit, « Les femmes du bus 678 » faisant ainsi la jolie démonstration que le cinéma peut s’incliner devant une cause quand celle-ci est filmée avec sincérité à défaut d’audace formelle.
Espérons que ce film trouvera un écho dans son pays d’origine évidemment, mais aussi partout ailleurs et notamment en France.
Une fois de plus, la projection des « Femmes du bus 678 » dans les lycées et collèges serait salutaire.
Une société qui laisse les femmes percevoir un salaire moindre que les hommes pour un poste similaire ne peut pas s’estimer suffisamment civilisée pour regarder la société égyptienne de trop haut.
Enfin, le printemps arabe ayant accouché en Égypte d’un renforcement des partis intégristes, on peut douter que les femmes soient sorties d’affaire : le courageux film de Mohammed Diab est plus que jamais d’actualité.
Le cinéma ne change rien à la vie, on le sait bien, mais il est au moins un motif d’espoir quand d’authentiques chefs d’œuvres paraissent à coté d’une totale vacuité.

Jeremy Sibony

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