mercredi 14 mars 2012

Terraferma

Réalisé par Emmanuele Crialese – Avec Filippo Pucillo, Donatella Finochiaro, Beppe Fiorello, Mimmo Cuticchio, Martina Codecasa – Italie – 1h28

Après l’ambitieux « Golden Door », Emmanuel Crialese revient sur les terres de « Respiro » : ces petites îles du sud de l’Italie que les vacanciers visitent sans trop se demander ce que c’est que d’y vivre toute l’année.
La partie la plus réussie du film se concentre sur le quotidien d’une famille de pêcheurs, famille amputée du père mais où le grand-père et le fils cadet s’entêtent à vivre de la pêche, comme depuis la nuit des temps.
Crialese reprend brillamment un des thèmes majeurs de son cinéma, ces personnages forcés pour ne pas disparaître, d’accepter le bouleversement d’une existence séculaire.
Le changement, dans ces petites îles où l’état italien vous paye pour ne plus pêcher, c’est se consacrer aux touristes. Leur louer les maisons, faire de la mer un terrain de jeu.
Habitants parlant leur patois plus que l’Italien, jeunes sans avenir vivant dans un monde où l’harmonie entre l’homme est la nature est brisée par la mondialisation.
Le réalisateur excelle à faire ressentir la langueur pesante du quotidien de cette île du sud de la sicile. La chaleur, la terre ingrate et la mer sublime et effrayante : on est loin de la carte postale.
Dans ses meilleurs moments, le film confirme Emmanuel Crialese comme l’héritier lointain d’Ermano Olmi ou des frères Taviani. L’évocation d’un monde hors du temps sur le point de disparaître et ici perturbée par la réalité économique.
L’invasion des touristes, à la fois nécessaires à la survie mais perturbant un mode de vie qui ne les intéressent pas.
A l’invasion des touristes répond alors l’immigration interdite de boat people venus d’Afrique vers ce qu’ils imaginent être l’eldorado occidental.
C’est ce deuxième film dans le film que Crialese réalise avec maladresse.
Quand il trouve la bonne distance par des séquences courtes mais poignantes, « Terraferma » laisse entrevoir le grand film qu’il n’est finalement pas.
Des hommes désespérés sur un radeau trop petit. Les cadavres échoués de malheureux sur les plages à touristes où cette vision dantesque de nageurs au bord de la noyade, égarés dans la nuit, cherchant vainement à s’accrocher à une barque.
Le film se fait vite trop démonstratif. Filippo et sa famille recueillent une jeune femme enceinte et son fils, s’ensuivent des séquences trop significatives où le cinéaste insiste lourdement pour nous faire comprendre ce que nous avions très bien compris.
La confrontation entre une Italie pauvre qui essaye de survivre et des clandestins fuyant un enfer plus terrible encore est filmée de façon si démonstrative que le film en devienne bancal.
Le terrible « crime » du jeune Filippo en devient anecdotique. Noyé dans une plaidoirie inutile tant la force des images suffisait.

Terraferma confirme le talent de Emmanuel Crialese qui se construit une filmographie cohérente et décidément passionnante. Mais pour devenir l’égal des Taviani ou d’Olmi il faudra que le réalisateur fasse plus confiance en la force indéniable de ses images et devienne moins bavard, moins démonstratif.
Il s’imposera alors comme un cinéaste de premier plan même s’il est déjà l’un des jeunes cinéastes italiens les plus prometteurs.
Ce qui signifie entre autre qu’il reste sous estimé en France et qu’il le restera toute sa carrière…
Il est vrai que dans la patrie de la nouvelle vague, on est forcément moins exigeant avec les héritiers de Truffaut qu’avec ceux des grands maîtres italiens auprès de qui la France du cinéma nourrit tellement de complexes.

Jeremy Sibony

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire