mercredi 21 mars 2012

Aurora

Réalisé et interprété par Cristi Puìu – Avec Clara Voda, Valeria Seciu, Luminata Gheorghiu, Catrinel Dumitrescu – 3h00 - Roumanie

Un homme ordinaire dans les rues de Bucarest...
Nous ne savons rien de lui, il ne nous est pas présenté, sinon au fur et à mesure qu’il déambule d’un quartier à l’autre de la ville. L’homme ordinaire devient mystérieux, puis inquiétant.
Le réalisateur, également, interprète du personnage, ne le quitte pas une seconde.
3h00 plus tard, le film s’achèvera après que l’homme ordinaire soit devenu un criminel, laissant le spectateur hagard, stupéfait et le personnage tout aussi énigmatique.

Il serait dommage que la durée du film repousse les spectateurs tant elle est justifiée. D’abord intrigant, le film s’empare de nous pour nous plonger au cœur de Bucarest et ne nous lâche plus.
Aurora ne raconte pas tant la genèse d’un crime que les derniers instants d’un anonyme en passe de devenir un criminel. On le voit donc préparer ses crimes avec minutie, mais également être confronté à des problèmes ordinaires, à la grisaille du quotidien : une fuite d’eau, un déménagement, la visite de sa mère… La grandeur du film vient de la confrontation entre des actes banals et la montée d'une tension dont nous ne percevons pas immédiatement l'origine. Cristi Puìu montre ce qui se passe entre la préparation du meurtre et le meurtre : des faits d’une affligeante banalité. Il serait absurde d’y rechercher des explications psychologiques : les assassins prennent aussi leur douche et mangent du gâteau.
Si on ne saisit pas immédiatement les intentions de Viorel, il devient de plus en plus inquiétant, en restant toujours sur la ligne entre le parano insupportable et le parano dangereux.
Le personnage ne change pas, c’est notre regard qui évolue petit à petit : d’abord on sympathiserait avec ce brave gars, fraîchement divorcé, ayant démissionné de son travail, apparemment sous la pression de supérieurs.
Mais petit à petit quelque chose cloche : une façon de reprendre une commerçante ou un collègue. Des regards de parano, son tourment intérieur gangrène l’image. Le mal être du personnage, jamais grossièrement expliqué, jamais raconté, nous envahit. Le monde devient menaçant : les bruits de la rue, un voisin casse pied engueulant son fils, les magasins où l’on étouffe sous les panneaux et les enseignes aux couleurs criardes.
Viorel est le cousin roumain du Travis Bickle de Taxi Driver. Il devient inévitable que tout bascule, que le point de rupture est proche et quand effectivement tout bascule, le réalisateur filme ce bouleversement comme le reste : les meurtres ne sont pas plus spectaculaires que l’errance dans les rues de Bucarest. Il s’agit de filmer des actes, sans psychologie et sans rupture formelle en gardant la même distance vis à vis du personnage comme de l’événement.
C’est un pari osé mais un pari totalement réussi. Le film ne baisse pas d’intensité après le meurtre. L’ombre de ces crimes plane sur chaque scène, le film à basculé, plus rien n’est banal, le monde ordinaire est à deux doigts d’exploser, ce qui était déjà le cas au début du film mais que nous ressentons maintenant physiquement.
Une altercation verbale avec des vendeuses, une visite dans une école d’où il repart avec sa fille…
Sans jamais avoir cherché à faire un film à message, le propos nous apparaît clairement, comme à travers la mort d’un vieil homme nous découvrions la société roumaine, Aurora décrit une société violente à l'apparence policée, un quotidien ordinaire, mais qui, à travers l’esprit de Viorel devient un monde au bord de l’explosion, menaçant…
Le film se terminant sur une note d’absurdité, où pour la première fois le personnage tente, vainement, d’expliquer ses actes.
Ni explication, ni psychologie : le quotidien peut être mortel, la frontière qui sépare l’esprit malade de Viorel et le spectateur n’a jamais été aussi mince.


Jérémy Sibony

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