mercredi 4 janvier 2012

Take Shelter

Réalisé par Jeff Nichols - Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Toya Stewart,Shea Whigham - 2h00 - Etats Unis

La catastrophe arrive, qui balaiera tout sur son passage : son foyer, sa famille, sa place dans cette société bien ordonnée.
Modèle de réussite à l’américaine (bon job, belle maison, belle femme), le héros de Take Shelter se retrouve piégé dans des cauchemars apocalyptiques : une tornade arrive qui emportera tout.
Il ne vivra plus que dans l’attente de l’apocalypse, jusqu’à la folie, jusqu’à ce que rongé par la peur il commence à se détruire lui et ce qu’il a bâti.
Après son coup d’essai réussi : « Shotgun Stories », Jeff Nichols quitte l’Arkansas mais continue à explorer l’Amérique profonde, ses petites villes, son quotidien : en Ohio cette fois ci.
Si on peut penser à Terence Malick (Les moissons du ciel) et Steven Spielberg (Rencontre du 3eme type), Jeff Nichols possède déjà sa patte, son univers. Un regard sur de braves gens, qui ne rêvent que de normalité, que d’une petite vie tranquille. De ces anonymes que l’on qualifie avec une once de mépris « américain moyen » et que l’on retrouve dans les chansons de Bruce Springsteen.
Mais entre l’image d’une vie ordinaire et la réalité se trouve toujours un grain de sable : la violence absurde dans « Shotgun Stories » et la peur dans « Take Shelter ».

Sublime portrait d'une Amérique paranoïaque, d’une Amérique qui a cessé de croire en sa toute puissance, terrorisée à l’idée de voir disparaître la légende qu’elle a forgée. "Take Shelter" est l’œuvre magistrale d'un cinéaste qui maîtrise tout: de l'image Malickienne d'une nature à la fois superbe et menaçante, à un scénario malin qui fait rentrer le spectateur dans la folie de son héros.
Il regarde, inquiet, vers l’horizon dans l’attente d’une catastrophe extérieure et ne réalise pas qu’il déchaîne lui-même cette tempête destructrice pour son univers. Héros justement, interprété par un acteur sous estimé: Michael Shannon, inquiétant et fragile. Ce n'est pas la première fois qu’il nous bouleverse: dans le médiocre "Noces rebelles" de Sam Mendes il illuminait le film dans le rôle d'un malade mental ne pouvant se retenir de dire ce qu'il pense. Dans "Bugs" de William Friedkin il composait un paranoïaque se mutilant. Il y a du Christopher Walken chez cet acteur qui devient incontournable. Habitué des rôles de malades, fous ordinaires trop fragile pour supporter le monde et donc à qui il est facile de nous identifier.
Folie ? Paranoïa ? Ou vision prophétique d’un monde qui file à sa perte ?

Le film peut être vu comme le prologue d’un récit post apocalyptique comme « La Route » de Cormac Mc Carthy. Le cinéma de Nichols possède d’ailleurs ce laconisme, cette économie de moyens qui le rend plus effrayant encore.
Il peut tout à la fois être regardé comme la descente aux enfers d’un homme ordinaire, qui entraînera dans sa folie sa famille.

« Take Shelter » maintient le doute. Le spectateur est maintenu dans l’incertitude, il peut lui aussi voir dans ces cauchemars des rêves prophétiques.
Plus le film avance, plus Jeff Nichols semble confondre sur le même plan séquences de cauchemars et scènes de la vie « réelle ».

On pourra lui reprocher de botter en touche en maintenant le doute, au terme d’un final somptueux et frustrant, mais « Take Shelter » prend alors toute sa dimension : un grand film sur le doute, sur l’attente, sur la peur…

Le spectateur peut regarder le héros comme un fou ou comme un prophète, mais lui aussi attend la tempête. Nous aussi regardons vers l’horizon dans l’attente inquiète de quelque chose qui viendra nécessairement.

Jérémy Sibony

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