mercredi 18 janvier 2012

Duch, Le Maître des forges de l'enfer.

Réalisé par Rithy Panh - Documentaire - 1h45- Cambodge

Film après film, le documentariste Rithy Panh poursuit son minutieux travail de mémoire du génocide cambodgien.
Après l’éprouvant « S21, la machine de mort khmer rouge », le cinéaste rencontre le directeur de camp de la mort où furent emprisonnés, torturés, assassinés les hommes et femmes suspectés d’être des contre-révolutionnaires suppôts de l’impérialisme (c’est à dire à peu près n’importe qui pour n’importe quel motif, dans un monde où porter des lunettes conduisait à la mort).
Duch fait face caméra. Derrière une table, ce vieillard ressemble à n’importe quel autre vieillard.
Et il raconte.
Il raconte les arrestations arbitraires, les interrogatoires où l’on arrache les ongles, où l’on force les « ennemis du peuple » à manger de la merde. Il raconte son ancienne maîtresse d’école arrivant là, violée avec un bâton par un des jeunes interrogateurs fanatisés du camp.
Il ne pouvait rien faire pour elle, de peur de passer pour un faible.
Duch pourrait passer pour un simple exécutant, caché derrière le « je n’avais pas le choix », ce fut d’ailleurs sa défense à son procès : il n’était qu’un exécutant, qu’une petite main. Comme Eichmann à Jérusalem, il essaiera presque de passer pour une victime de temps troublés.
Seul derrière sa table, Duch essaie de se mettre en scène et le talent de Rithy Panh. C’est de capter cela, le « jeu » du bourreau et sa mise en scène pour s’attirer, si ce n’est la sympathie, au moins la compassion du spectateur.

Duch fait ainsi face aux spectateurs, décrivant avec minutie la machine de mort khmer rouge. Cette minutie fait peur. Ce professionnalisme face à sa mission d’alors, cette rigueur que revendique le tortionnaire comme un bon artisan est presque insoutenable.
L’homme attendrait presque des compliments pour son sérieux et son dévouement, il en tire une vraie fierté que quelques regrets d’apparence ne masquent pas. Le spectateur est bousculé, surpris par cette attitude qui n’est donc pas celle d’un monstre de cinéma.

Quelques courtes séquences où témoignent des victimes ou des tortionnaires aux ordres de Duch viennent souligner l’atrocité de certains propos que Duch prononce de façon anodine.

Durant ces témoignages, la caméra revient sur les lieux de l’horreur et nous sentons la présence de fantômes errant dans des pièces délabrées et des bâtiments abandonnés.
La plupart des vivants que nous voyons sont pourtant des bourreaux, Rithy Panh arrive à filmer l’indicible : sans montrer, sans s’aider de la fiction et de ses artifices, la force du verbe est si puissante, parfois presque insoutenable, que nous voyons presque apparaître les fantômes des victimes du génocide.


Alors, la vision de Duch en devient insupportable. Car l’homme rit. Souvent, par gêne ? Ou juste pour installer une complicité entre lui et la caméra.
Ce rire incompréhensible, inacceptable glace le spectateur et le hante longtemps après la projection du film.


Jérémy Sibony

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