mercredi 3 octobre 2012

Después de Lucia

Réalisé par Michel Franco – Avec Tessa Ia, Hernàn Mendoza, Gonzalo Vega Sisto, Tamara Yazbek Bernal, Francisco Rueda, Paloma Cervantes – 1h 43 – Mexique.


Le premier plan intrigue : l’homme qui vient de récupérer sa voiture dans un garage roule quelques instants, s’arrête et abandonne sa voiture. « Después de Lucia » Débute comme un film sur le deuil : un père et sa fille, seuls depuis la mort de Lucia. Les plans séquences et le rythme des premières séquences se justifient totalement, nul snobisme : le deuil se fait dans le vide que laisse la femme et mère. Les plans se construisent autour de cette absence. Mais si le père se morfond dans le silence et la solitude, la fille, Anjelica, est décidée à vivre, cache son deuil et essaye de vivre la vie normale d’une jeune fille de son âge. C’est d’elle que vient la lumière du film, d’une actrice surtout, la jeune Tessa Ia qui fait ici d’impressionnants débuts. Le film semble prendre des rails assez classiques : le père et la fille prenant chacun une route différente : lui peinant à garder son nouveau travail alors qu’elle s’intègre bien dans son nouveau lycée. Dans un film classique, nous attendrions que les routes se rejoignent ou se séparent définitivement… Nous ne sommes pas dans un film classique.

Avec le même effet de surprise que lorsque son héros quittait brusquement sa voiture, le récit prend un autre chemin, bien moins confortable. Le réalisateur, Michel Franco, s’est bien gardé de montrer dans cette première partie les signes du désastre à venir, cela rendra les séquences qui suivront autrement plus réalistes. Car la tragédie qui se dessine soudainement ne vient pas du deuil, mais du retour à une vie normale. La monstruosité se niche dans le quotidien, dans la normalité. Pour s’être laissée filmer pendant qu’elle faisait l’amour avec le bellâtre de la bande, Anjelica devient la cible impuissante de ses « amis », la bande de jeunes devient une meute, la gentille jeune fille qui illuminait la première partie du film et semblait être la seule lueur dans la dépression du père va s’éteindre petit à petit. Le deuil est évacué, mais au profit du récit presque insoutenable des tortures mentales et physiques que va subir la jeune fille de la part de ses « amies ». La cruauté de la meute est sans fin.
Aux humiliations succèdent les sévices, tandis que le lien qui subsistait entre Anjelica et son père se rompt sans que ce dernier s’en aperçoive. La mise en scène de Michel Franco ne nous épargne rien : la caméra enferme sa jeune actrice dans un cadre presque fixe, aucune échappatoire, aucun plan pour rendre cette violence esthétique. Aucune complaisance non plus : nous ne sommes ni chez Larry Clark, ni chez Oliver Stone.
Nulle provocation facile dans cette mise en scène de l’insoutenable.
Les adultes ? Ils sont morts ou absents (absents de l’écran ou lorsqu'ils sont présents à l’écran, totalement inertes.) La logique de bande est une logique de meute. Le cinéaste sait qu’on trouverait facilement plus de bêtise que de haine dans les premières brimades. Mais la frontière est vite franchie, sans autre repère que celui du groupe, la bêtise laisse place à la monstruosité , disons le à une certaine forme de fascisme. « Después de Lucia » est aussi une vision du totalitarisme sans que  le film cède à la démonstration.

La caméra reste à bonne distance, tandis que les séquences de tortures physiques et mentales se succèdent jusqu’à l’écoeurement. Plus d’une fois on peut penser que le cinéaste va trop loin, que la mécanique cache mal une noirceur affectée. Nous pouvons aussi nous sentir manipulés par ce récit glaçant.
On espère une explication à cette violence gratuite, quelque chose qui expliquerait qu’une bande d’ados se mue en monstres.
 Mais rien…
Alors que la sécheresse de la mise en scène, sa précision rend le propos parfaitement plausible. La résignation de la jeune fille subissant humiliations et tortures nous renvoie à notre propre impuissance et le spectateur de gauche lecteur de Télérama, de libé ou du Monde sent monter en lui un désir de vengeance relativement malsain.
La civilisation ? Quelle civilisation ?
 Celle du téléphone portable, qui loin d’aider à communiquer scelle l’incommunicabilité des êtres avant de devenir l’instrument par quoi le drame arrive. Ce n’est pas bien sûr la technologie qui est en cause, mais les hommes qui se planquent derrière.
Car voici l’Emile de Rousseau revisité : l’homme, livré à lui-même, abandonné par les siens, retourne à l’état sauvage. Il dévore les plus faibles.
Anjelica s’efface sous nos yeux jusqu’à ne devenir qu’une ellipse, un blanc, alors que le chapitre final du film se clôturera dans un acte à la fois immoral et vengeur qui nous laisse face à notre propre désir de vengeance.

Nous serons horrifiés mais aussi un peu soulagés : une victime expiatoire, c’est ce que nous nous surprenions peut-être à demander. Il est même possible que notre réaction nous effraie nous-même. Cette conclusion ambiguë ouvre un gouffre… Pas de réponses, pas de morale… Rien.
 Rien d’autre qu’un homme et l’acte qu’il vient de commettre…: pas de messages, pas de psychologies faciles.. Et nous face à lui. Cet autre moi-même. Ce que Bruno Dumont nommait « L’humanité. »

Jeremy Sibony

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